interview de Nicolas Southon dans l'Agenda culturel

2015-04-14

Nicolas Southon est un musicologue très écouté en France. Auteur de nombreux ouvrages et d’articles, conférencier et pianiste, il s’est intéressé aux musiques savantes libanaises et aux influences des musiques françaises sur certains de nos compositeurs. Le CPML, toujours prêt à valoriser le patrimoine musical libanais invite Nicolas Southon à donner une conférence-concert avec le pianiste Georges Daccache, autour du thème de ces correspondances, avec au programme des oeuvres de Claude Debussy, Maurice Ravel, Bechara El-Khoury, Gabriel Yared, Toufic Succar et Georges Baz. Vous êtes un musicologue éclectique et qui ne se contente pas d’étudier un seul sujet : vous avez publié de nombreux articles spécialisés ainsi que des livres sur Francis Poulenc, sur la musique américaine, et des entretiens avec le pianiste Alexandre Tharaud. Cet éclectisme est le reflet de mes nombreuses passions musicales : je suis constamment à la recherche de nouvelles oeuvres à aimer, et donc à comprendre. En ce moment, je me passionne par exemple pour le compositeur William Schuman, un ami de Bernstein et de Copland dont j’ai découvert la musique en écrivant ‘Les Symphonies du Nouveau Monde’, un bref panorama de la musique américaine. J’ai donc plaisir à aborder en conférence des sujets variés. Il n’en reste pas moins que je ne suis vraiment spécialiste, de façon ‘’scientifique’’, que de trois ou quatre domaines, ce qui est déjà beaucoup dans le milieu universitaire. Pouvez-vous évoquer votre parcours ? Parallèlement à ma formation de musicien, en privé puis au Conservatoire, j’ai suivi des études de musicologie, et j’ai vite compris que j’étais passionné par la musique en tant qu’objet intellectuel, à la manière d’un historien de l’art, davantage qu’en tant que pratique, même si la bonne maîtrise d’un instrument et de l’écriture musicale reste une assise essentielle pour être musicologue. Pendant ma thèse, consacrée à l’orchestre et au chef au XIXe siècle, je suis entré au Conservatoire de Paris en Histoire de la musique, en Analyse et en Esthétique. Mes recherches, ainsi que mes goûts et un peu de hasard, m’ont amené à concentrer mes recherches sur la musique française, et plus particulièrement sur Francis Poulenc, dont j’ai publié les écrits
(‘J’écris ce qui me chante’, Fayard), et sur Gabriel Fauré, dont je dirige l’édition
critique de l’oeuvre complète chez Bärenreiter, aux côtés de Jean-Michel Nectoux.
Les compositeurs libanais de musique savante vous semblent-ils dignes
d'intérêt ? Pensez-vous qu'il y ait un véritable courant de musique savante
libanaise ?
La musique libanaise du XXe siècle, celle que l’on pourrait en effet qualifier de
‘’savante’’ (par opposition à la musique folklorique ou populaire) : voilà typiquement
un sujet qui m’intéresse et que je peux aborder, même sans en être ‘’spécialiste’’,
dans sa globalité et à partir d’exemples précis. Ces compositeurs sont bien sûr dignes
d’intérêt, pour de nombreuses raisons. D’abord pour le simple plaisir que l’on peut
retirer de l’écoute de leurs oeuvres. Ensuite pour le lien plus ou moins fort qu’ils
entretiennent avec le répertoire traditionnel et l’imaginaire folklorique de leur pays.
Comment s’en inspirent-ils ? Comment, aussi, cherchent-ils à s’en émanciper pour
s’inscrire dans la modernité ? De quelle modernité parle-t-on, d’ailleurs ? Il y a de
nombreux courants de musique savante libanaise, comme à vrai dire dans toute la
musique savante du XXe siècle. Quoi de commun, ainsi, entre le langage tonal très
attachant de Gabriel Saab (1923-2003), la modalité richement colorée de Naji Hakim
(né en 1955), et l’atonalité puissante de Bechara El-Khoury (né en 1957) ?
Avec le pianiste Georges Daccache, vous allez donner une conférence ayant
pour thème l'influence de la musique française sur certains compositeurs
libanais. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Les compositeurs libanais du XXe siècle ont été particulièrement marqués par la
musique française. C’est notamment vers les partitions de Debussy et Ravel qu’ils se
sont tournés lorsqu’ils ont voulu écrire de la musique dite ‘’savante’’. Comme souvent,
l’imitation a ouvert le chemin de l’originalité ; c’est particulièrement évident par
exemple chez un compositeur comme Georges Baz (1926-2012), particulièrement
marqué par Debussy. De nombreux compositeurs libanais sont aussi venus étudier en
France, ou s’y sont installés, tel Naji Hakim, qui a suivi l’enseignement d’Olivier
Messiaen. Je citerai encore l’exemple de Gabriel Yared, dont on connaît bien les
partitions pour le cinéma, synthèses de nombreuses influences, notamment
françaises, mais qui possèdent aussi un style tout à fait personnel et identifiable.
Dans cette conférence, ou plutôt ce concert-conférence, parole et musique seront
présentes à égalité : mes propos seront en effet illustrés de morceaux ou d’extraits
joués par Georges Daccache.
Quels sont vos projets ?
D’abord, découvrir le Liban, même quelques jours ! Puis poursuivre mes travaux sur
Francis Poulenc, Gabriel Fauré et la musique française ; je publierai dans quelques
mois les nombreuses critiques musicales de Fauré, encore dans l’ombre. Ce ne sont
pas les sujets d’étude passionnants qui manquent : c’est le temps.
Propos recueillis par Zeina Saleh Kayali

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