Dans l'agenda culturel interview croisée d'Iyad Kanaan et Georges Daccache pour la création mondiale des Serpents du Paradis

2016-03-07

Le mardi 8 mars aura lieu à l’auditorium Abou Khater, en première mondiale, sous le patronage du ministre de la Culture, un concert totalement original et inédit, co-production du Conservatoire national de musique et du Centre du patrimoine musical libanais (CPML-espace Robert Matta). Il s’agit de la mise en musique de l’un des textes les plus importants de notre patrimoine littéraire, ‘Afa’i el ferdaws’ (Les serpents du paradis) du poète Elias Abou Chabkeh, par le compositeur libanais Iyad Kanaan (né en 1967). Ce cycle de Lieder conçu en forme de cantate, sera interprété par Georges Daccache au piano ainsi que par sept solistes, Olga el-Kik, Grace Medawar, Jalal Possik, Charbel Kadi, Joseph Jabbour, Bechara Mouffarej et Toni Sfeir.

A quelques jours de cette importante première qui se tient le jour de l’alphabet, Iyad Kanaan et Georges Daccache se prêtent au jeu de l’interview.

Iyad Kanaan, pourquoi avez-vous choisi de mettre en musique précisément ce texte d’Elias Abou Chabkeh ?
IK : ‘Afa’i el ferdaws’ est considéré comme l’œuvre maitresse de Elias Abou Chabkeh. L’écrivain Mikhail Neaimeh va jusqu’en parler comme ‘’le chef-d’œuvre de la littérature arabe’’ au même titre que ‘Les fleurs du mal’ de Charles Baudelaire dans la littérature française. J’ai choisi 9 poèmes parmi les 13 qui constituent le recueil, et je les ai mis en musique sous forme d’une cantate pour sept solistes et piano.

Ce texte peut être assez choquant pour les oreilles chastes comment avez-vous géré cette question ?
IK : En effet, le recueil imprimé depuis 1938 fait encore scandale même aujourd’hui, à cause de la crudité de son propos. Cependant, la sexualité et l’antiféminisme primaires évoqués dans le recueil ne doivent pas être pris matériellement, au pied de la lettre. Il s’agit plutôt d’une symbolique. Dalila, Sodome et Eve représenteraient alors les beautés mensongères d’une société (gloire, possessions, pouvoir) qui est constituée d’autant de ténèbres que de lumière, et qui peut s’avérer fatale à tout individu qu’il soit homme ou femme. Enfin il ne faut pas oublier que ce recueil est aussi une sorte de confession personnelle de la part du poète, ce qui est extrêmement courageux surtout pour son époque.
Quant à la musique en elle-même, il ne s’agit pas ici uniquement de mélodie. Nous sommes plutôt dans un drame, une pensée, un état d’âme mis en musique.

Georges Daccache, vous êtes l’interprète principal de cette cantate. Alors que les chanteurs se relaient vous êtes tout le temps au piano et vous possédez le fil conducteur de l’œuvre. Que pouvez-vous en dire ?
GD : Je pourrais dire que cet opus d'Iyad Kanaan est un chef-d'œuvre digne d'être classé dans le large répertoire de la musique classique universelle. L'écriture musicale s'approche dans son style de l'époque postromantique allemande de la fin du XIXe siècle. L'harmonie "wagnériennes" construit le socle sur lequel est bâtie cette œuvre. Sa modulation permanente, tant dans les graves que dans les aiguës, nous pousse, ainsi que l'auditeur, à vivre dans une tension morbide et parfois funèbre. D'autre part, le compositeur s'approche dans la construction de son œuvre, des œuvres "philosophiques lisztiennes" comme ‘Les harmonies poétiques et religieuses’ ou ‘D'après une lecture de Dante’, où l'idée de l'existence humaine en est la source d'inspiration principale. Nous pourrons dire qu'Iyad Kanaan nous expose à travers son œuvre, le conflit continu entre l'humain et le divin, le terrestre et le céleste, la vie et la mort. C'est un dialogue entre la terre et le ciel !

Propos recueillis par Zeina Saleh Kayali

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