Dans l'Agenda culturel Tatiana Primak Khoury fait honneur aux compositeurs libanais par Etienne Kupelian

2013-02-12

Honneur aux compositeurs libanais
ANIS FULEIHAN (1900-1970) : Sonate No9
HOUTAF KHOURY (né en 1967) : Sonate No3 «Pour un instant perdu»
BOGHOS GÉLALIAN (1927-2011) : Tre Cicli - Canzona e Toccata

Il fallait un sacré courage, doublé d’une bonne dose d’endurance, pour présenter un tel programme en guise de récital. Une rareté pour ne pas dire une grande première, avec trois compositeurs libanais : Anis Fuleihan qui avait été Directeur du Conservatoire dans les années cinquante, Boghos Gélalian autrefois professeur de piano et d’harmonie, et lauréat de plusieurs concours organisés pas les JML, et Houtaf Khoury, qui après un bref séjour au Conservatoire a préféré se retirer de l’enseignement et se consacrer entièrement à la composition.

Un programme ambitieux et éprouvant durant lequel Tatiana Primak a dominé son clavier de manière magistrale. Car dans ces pièces, dites «modernes» les pièges sont nombreux et les tentations également : faire n’importe quoi sous prétexte que c’est du moderne. Car dans ce genre de composition le discours repose sur une trame rythmique et harmonique, et le jeu de Tatiana Primak est défini par la justesse d’une lecture à l’esthétique dépouillée, loin de toute emphase : rigidité souhaitée dans la conception générale de la partition (voire même de chaque mouvement) nous permettant, à nous auditeurs, de pénétrer au plus profond de l’œuvre.

Dans la neuvième sonate pour piano de Anis Fuleihan, d’une écriture assez contrapunctique, le discours gagne petit à petit en intensité pour culminer dans un presto final endiablé après un parcours aux couleurs Debussyistes dans les mouvements lents, et aux accents Prokofieviens dans les mouvements rapides.

Qui donc mieux que Tatiana pourrait servir les œuvres de son époux Houtaf. Sa troisième sonate qui a pour titre «pour un instant perdu» (on se serait cru dans un roman de Proust) est divisée en trois parties : articulation minutieuse pour «Hasard» , ligne admirablement contrôlée dans «Le temps suspendu» et pour terminer «Quête ...» quête de quoi? voilà un bien grand point d’interrogation : fascination, séduction, telles ont été les réponses de Tatiana devant son clavier.

Avec Boghos Gélalian, nul besoin d’appui littéraire ou métaphysique. Musique plutôt intuitive, finement ciselée, dont l’inspiration et la spontanéïté cachent un travail méticuleux et de longue haleine. «Quand j’écris, disait-il, je veux toujours avoir l’impression que rien n’est laissé au hasard technique ou sentimental. Je travaille très lentement et suis perfectionniste dans ce que je réalise».
Considérée comme étant l’une de ses œuvres les plus complexes, Tre Cicli (trois Cycles) est pianistiquement assez difficile à exécuter aussi bien sur le plan technique (très poussé) que sur celui des harmonies (véritable casse-tête à mémoriser) : le genre d’œuvre qui a besoin de beaucoup de temps pour mûrir tant l’approche analytique est pointue. Toute notre admiration à Tatiana qui a réussi à surmonter la structure complexe de ce morceau : mélange de mode orientaux dans une écriture à l’occidentale.
Tonnerre d’aplaudissements pour une performance pleine de panache. La pianiste nous offre en guise de remerciement, une autre œuvre de Gélalian «Canzona e Toccata» basée sur un mode oriental chromatique exigeant une virtuosité sans faille, surtout dans la toccata.

Nous savons tous que Tatiana Primak est une grande musicienne aux moyens techniques amples, soignant avec minutie l’authenticité de chaque morceau qu’elle interprète et n’hésitant pas à élargir l’éventail de son répertoire avec intelligence (les conseils de son époux Houtaf y sont pour quelque chose), mais là où nous devons tous lui dire : «chapeau», c’est pour avoir eu le mérite de consacrer tout un récital à des compositeurs libanais. Combien de pianistes libanais l’ont-ils fait avant elle? Merci Tatiana.

Etienne Kupélian

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