Dans l'Orient le Jour hommage aux compositeurs libanais par Tatiana Primak Khoury

2013-12-12

Terre et ciel du Liban sur les touches d’ivoire d’un clavier
Beirut Chants
Jamais concert ne fut entièrement et exclusivement dédié aux compositeurs libanais. Tatiana Primak-Khoury, remarquable pianiste étrangère, mais libanaise d'alliance et de cœur, vient de combler cette impardonnable lacune à l'occasion de ce festival de musique. Avec une lumineuse mosaïque d'inspiration locale sur les touches d'ivoire de son clavier.


12/12/2013









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Pour un grincheux temps de pluie, une salle relativement peu remplie, pour des partitions pourtant habitées de paysages libanais et de l'énergie et la sève du pays du Cèdre.
Elle est la plus belle et inflexible ambassadrice de la culture, et la féerie du clavier au Liban-Nord. Un Nord à la tête bien peu tournée aux raffinements de la musique classique plongé qu'il est dans de sanglants et primaires embrasements... Installée avec sa famille à Tripoli, elle offre avec une régularité et un zèle à clamer bien haut (des programmes riches et une qualité d'interprétation au-dessus de tout éloge) ses prestations pianistiques aux mélomanes de la région. Et elle officie presque toujours à l'Université de
Balamand.
Pour l'occasion, on la retrouve à la cathédrale Saint-Louis des capucins. Au menu, sept compositeurs libanais (vivants, décédés, émigrés, résidants toujours en terre natale) à qui elle rend hommage et, en quelque sorte, justice en les mettant à l'écoute, au jugement et à l'appréciation de leurs compatriotes.
Révélation à travers une brillante interprétation (avec l'effort de les présenter au public sans lecture de partitions sur le pupitre !) pour un sélectif bouquet de partitions qui constituent aujourd'hui notre patrimoine musical. Richesse pour un rayonnement « intra muros » et hors frontières.
Sanglée dans une veste beige clair sur un chemisier et un pantalon noirs, les cheveux auburn simplement rejetés sur ses épaules, Tatiana Primak-Khoury, visage de madone souriante, d'une douce modestie, a toujours cette démarche discrète, presque timide et effacée. Mais une fois derrière les touches d'ivoire, la transformation est totale.
Premières mesures pour une élégante variation mozartienne signée Toufic Succar. Contrastes entre airs du terroir et simplicité d'une ligne mélodique au charme certain. Une exquise introduction pour les rives d'un pays entre mer et montagne.
Avec Anis Fuleihan (authentique révélation), la Sonate n°9 (en quatre mouvements) alliant éclats sombres, rythmes martelés, incursion audacieuse au cœur des sonorités orientales et écriture moderne parfaitement dans le sillage des œuvres du XXe siècle.
Le Jimali Wali est un bref opus inspiré du folklore irakien d'Abdallah el-Masri. Morceau plaçant l'ombre et la lumière des notes en un spectre d'harmonies vibrantes et colorées. Comme pour mieux revisiter les legs des mélodies orientales.
Avec Béchara el-Khoury, une Étude pour piano op 51 dont le ton est un peu à la « tonitruance » russe, aux embardées « rachmaninoviennes » ou « scrabiniennes »... Véhémence, passion, déferlement et grandes vagues chargées de colère pour une narration impétueuse, torrentielle. Et dont le crescendo atteint des fortissimo impressionnants.
Avec Gabriel Yared, trois pièces jetant la lumière sur un monde où se profilent les ombres du cinéma. Ici, La vie des autres (les machinations de la Stasi) et Prélude à la pluie. Miniatures ciselées, tout en nuances subtiles, pour des caractères fugaces et quelque peu énigmatiques. Avec en primeur ce Sogno di luce, seul opus directement pour le piano en teintes délicates et ensoleillées. « Talentueux » Gabriel Yared et non seulement « Mr Ripley »...
Hommage à Houtaf Khoury, époux de l'artiste dans la vie, à travers la Sonate n° 3 intitulée Pour un instant perdu. Au contraire, gagné cet instant à écouter une œuvre à l'écriture dense, tendue, fortement architecturée et combinant astucieusement mélodie levantine et harmonie péremptoire et « pluritonale ». Sur une note obstinée et sur l'entêtement des basses aigrelettes, se greffent des orages et des tempêtes comme un grand chambardement au cœur des plus hautes solitudes...
Pour conclure, la Sonate brève de Boghos Gelalian. C'est avec un infini plaisir qu'on retrouve la voix d'Ousta sur le clavier. Ainsi l'appelaient, avec affection et déférence, ses proches et ses familiers. Une narration incisive, à la fois tendre, précipitée et vaguement mélancolique, tirant ses racines des sources même du folklore du pays de Sayat Nova.
En bis, après une ovation qui méritait bien plus de nerf et d'enthousiasme, généreuse, la pianiste a interprété à bon escient une autre œuvre de Gelalian. Comme pour ne pas rompre la magie d'un moment envoûtant.
Et voilà, avec la pluie qui tambourine sur les pavés de Beyrouth, la superbe Toccata, un joyau de virtuosité requérant imparable précision et redoutable célérité. Et livrée ici, bien entendu, comme un diamant étincelant.
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