Roula Safar partie prenante d’un opéra contemporain 2014-12-26 de Zeina Saleh Kayali
Il y a quelques jours, un événement musical d’importance s’est tenu dans le monde de l’opéra contemporain en France. La création mondiale, à la Comédie de Reims, de Ushba et Tetnuld du compositeur Nicolas Vérin (né en 1959), pièce lyrique pour trois chanteurs, musique électronique et vidéo.
Et pourquoi, parmi l’incroyablement foisonnement artistique qui agite la France au quotidien, cette création nous intéresse-t-elle en particulier ? Eh bien parce que l’un des trois chanteurs se trouve être Roula Safar, mezzo-soprano et compositrice d’origine libanaise établie en France où elle poursuit une carrière extrêmement éclectique et variée, allant de l’opéra baroque à la création contemporaine, en passant par les musiques originales de sa propre composition, sur des
textes en gaulois ou en chaldéen ou sur des textes de poètes libanais d’expression française (Georges Schéhadé, Samia Toutounji… )
Le livret d’Ushba et Tetnuld est tiré d’une vieille légende géorgienne, celle d’un homme et d’une femme, qui n’ayant pu s’aimer dans la vie terrestre sont transformés en montagnes pour pouvoir se faire face et se contempler. Dans la Haute-Svanétie géorgienne, résonnent encore les chants de travail, d’amour, de combat et de deuil. Là, Ushba et Tetnuld auraient été transformés en montagnes. Un voyageur est à la recherche de cette légende et croise le quotidien et le passé qui s’entremêlent en une mosaïque de sensations.
Cette traversée poétique qui joue du contraste entre expression abstraite et réalisme documentaire parle au spectateur/voyageur que nous sommes tous dans notre monde intérieur. Nicolas Vérin rend ici un hommage à la Géorgie en une polyphonie sonore et visuelle confrontant modernité et tradition.
Autour du compositeur, la librettiste Dominique Vérin, le vidéaste Robert Cahen, le contre-ténor Javier Hagen, le baryton Nicholas Isherwood, et la mezzo-soprano Roula Safar qui se fait aussi parfois instrumentiste, car certaines des pièces qu’elle interprète sont accompagnées à la guitare.
Cette production a fait l’objet de l’émission de France Musique Alla Breve qui toutes les semaines, du lundi au vendredi, fait entendre cinq fragments d’une nouvelle œuvre, par un compositeur d’aujourd’hui, et qui à la fin de la semaine, passe dans son intégralité.
La musique au caractère polyphonique de Nicolas Vérin tisse plusieurs matières sonores : les vers de trois poètes géorgiens, les voix des trois chanteurs, les sons des instruments de musique enregistrés puis retravaillés en studio et enfin les sons de la Géorgie captés par le voyageur. Le compositeur a privilégié une façon de chanter qui joue sur plusieurs paramètres : le chant traditionnel, le jeu entre le parlé et le chanté et la partie électronique dont Roula Safar dit qu’elle favorise ‘’un univers étrange et particulier’’. La mezzo-soprano poursuit que cet opéra ‘’offre une version très différente de la Géorgie. Même des Géorgiens présents dans la salle ont découvert des choses nouvelles sur leur pays, notamment certaines sonorités âpres de chants rituels par des chœurs d’hommes extrêmement émouvants’’.
En suivant un tant soit peu leur actualité, il est toujours intéressant de constater comment les musiciens libanais établis à l’étranger peuvent par leur éclectisme et leur faculté d’adaptation, s’intégrer et briller au sein de projets qui semblent parfois extrêmement éloignés de leur culture ou de leur sensibilité.