Dans l’Agenda Culturel ABDALLAH EL MASRI, UN COMPOSITEUR LIBANAIS AU KOWEÏT 2023-03-09 de Zeina Saleh Kayali
Abdallah El-Masri est né le 21 janvier 1962 à Beyrouth, dans une famille modeste. Son père, maçon, trouve toutefois le temps de jouer de la clarinette et de déclamer le monologue d’Hamlet devant ses amis. Dans son enfance, Abdallah El-Masri se sent très attiré par la musique mais n’a pas l’occasion de la pratiquer ni d’en écouter, excepté à la radio, où il se découvre une passion pour les chansons de Feyrouz. Son père lui fabrique une petite guitare en bois. À l’école, il dessine les touches du piano sur ses cahiers. Vers l’âge de 7-8 ans, il n’hésite pas à prendre seul le car pour se rendre dans un village voisin où se donne une fête musicale.
En 1975, au début de la guerre du Liban, la famille d’Abdallah El-Masri est contrainte de quitter le village de Salima pour Beyrouth. Il a alors 13 ans et commence l’apprentissage de la guitare et de la théorie avec Issa Skaff à l’école de musique de Hamana. Vers l’âge de 16 ans, il entre au Conservatoire national supérieur de musique de Beyrouth. À cette période, son frère aîné, étudiant en Union soviétique, lui rapporte chaque été des disques et des partitions de toutes sortes de musiques. C’est ainsi qu’Abdallah El-Masri découvre le grand répertoire. Pendant toute cette époque, Abdallah El-Masri «dévore» littéralement le répertoire pour guitare et obtient son diplôme en ayant appris beaucoup plus de pièces que ce qui est requis. En parallèle, il travaille avec Joseph Ichkanian au Centre culturel hispanique de Beyrouth. Abdallah El-Masri compose déjà de petites mélodies mais il constate les limites de son instrument. Marcel Khalifé le recrute pour son ensemble Al Mayadin. Par ailleurs, lui-même crée avec quelques amis l’ensemble Ferqet el jabal («la troupe de la montagne»), qui joue et enregistre déjà ses compositions. « C’était primaire voire embryonnaire». Il est également le fondateur de l’ensemble Al Wilada (la naissance) qui voit le jour en 1984 et se dissous en 1990.
À l’âge de 18 ans, Abdallah El-Masri obtient une bourse d’étude pour l’Union soviétique. À sa grande surprise, il est admis à se présenter au Conservatoire Tchaïkovski de Moscou, dont il rêve depuis son enfance. «C’était inespéré, je m’étouffais littéralement de joie.» Les épreuves d’admission sont extrêmement difficiles et variées. À Moscou, sa guitare est un peu « traitée par le mépris» et ses professeurs de composition le somment de se mettre immédiatement au piano. Avant de bénéficier de l’enseignement du conservatoire, Abdallah El-Masri doit suivre les cours des disciplines théoriques et de composition à l’Académie de musique de Moscou. En 1991, il obtient un magistère et, en 1993, un doctorat en composition.
Abdallah El-Masri compose beaucoup dans le cadre de ses études. Ses professeurs, dont certains sont célèbres dans le domaine de l’orchestration et de la composition, tels Nicolai Rakov ou Roman Ledenyov, sont extrêmement exigeants et lui apprennent à conserver son identité profonde dans son processus de création. « Ce n’est pas parce que tu écris de la musique occidentale que tu vas devenir occidental. Tu dois garder et respecter ton identité et tes racines». Cela l’amène à «déchirer» tout ce qu’il avait écrit avant d’arriver à Moscou. « Le milieu musical était tellement extraordinaire et encourageant. Une émulation très saine existait entre les étudiants. Nous travaillions jour et nuit. »
Abdallah El-Masri définit sa musique comme «modale et même polymodale ». Pour lui, le plus important est le « savoir-faire du compositeur et non la dextérité qu’il exige de l’instrumentiste». Il s’éloigne de « l’avant-garde superficielle» et ne comprend pas pourquoi certains compositeurs aiment à « maltraiter un instrument». Pour Abdallah El-Masri « un compositeur peut tout à fait essayer d’utiliser ses émotions en les intégrant dans sa musique pour les transmettre à l’auditeur et il est important que la musique ait une multitude de couleurs différentes tout en gardant son identité.
La situation au Liban est une immense source d’inspiration pour Abdallah El Masri dont l’une des dernières pièces orchestrales majeures, Une minute de musique (par opposition à une minute de silence), est directement inspirée par l’explosion du 4 août 2020.
La musique d’Abdallah El-Masri dont le catalogue est riche est varié (symphonique, concertant, vocal …) est jouée à travers le monde (Egypte, France, Allemagne, Koweït, Liban, Russie, Suisse…) par des ensembles prestigieux tels que l’Orchestre symphonique de la radio de Moscou, le Royal Philharmonic de Liverpool. Il est également membre de l’Union des Compositeurs russes.
Depuis son installation au Koweït Abdallah El-Masri a formé plusieurs générations de compositeurs koweitiens et a effectué un immense travail de diffusion de la musique, tant occidentale que nationale.