Dans l’Agenda Culturel DOMINIQUE SALLOUM COMPOSITEUR LIBANAIS PRIMÉ EN EUROPE 2023-04-11 Zeina Saleh Kayali
Alors qu’il vient d’obtenir trois prestigieux prix de composition pour sa symphonie de chambre Beyrouth, Dominique Salloum, compositeur et pianiste établi en France, répond aux questions de l’Agenda culturel.
A quelques jours d’intervalle, vous êtes lauréat de trois prestigieux prix de composition ?
Oui pour la même œuvre. Le prix du concours Bach international, le World Grand Prix International Music Contest, et le Manchester International Music Competition. Il est peut-être encore possible que Beyrouth obtienne d’autres récompenses car je l’ai présentée à concourir dans plusieurs autres compétitions.
Comment se présente la symphonie de chambre Beyrouth ?
C’est une symphonie de chambre (intitulée « sinfonia da camera »). Elle est écrite comme un concerto pour orchestre, un peu à la manière du Concerto pour orchestre de Béla Bartók. Elle se déroule en un seul mouvement cyclique et les instruments agissent tous en solistes avec beaucoup d’échanges entre les différentes sections de l’orchestre. L’œuvre qui dure 17 minutes est écrite pour 15 musiciens, un quintette de bois, un trio de cuivres, une harpe, un percussionniste et enfin un quintette à cordes.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le déroulement de l’œuvre ?
Les thèmes sont caractérisés, de natures très différentes. Pourtant ils restent dans une cohérence d’écriture, et certains passages reviennent fréquemment comme une rengaine… La symphonie peut être divisée en cinq grandes parties. La première partie se découpe elle-même en plusieurs sections, où sont présentés les cordes, les bois, puis les cuivres. Cette première partie se termine par un passage très sombre (« oscuro »), où l’on entend le ricanement du destin avec les cuivres, auquel répond le son déchirant du quintette à cordes, cette première partie se solde d’une déflagration immense produite par le tam tel un coup de canon. Puis vient une partie centrale plus éthérée qui représente la mémoire du passé, dans un univers de nostalgie entrecoupé de coups de feu. La troisième partie est encore plus sombre, dans certaines sections on y entend la soldatesque appuyée par la caisse claire et le mouvement rythmé des cordes qui marquent une marche révoltée (« nonobstant l’oppression »), d’autres passages sont plus mécaniques qui représentent le côté inéluctable d’un destin en marche, comme une horloge (« come un orologio »). La quatrième partie est une succession de moments rapides et de passages très vifs et qui reprend à la fin, une variation entêtante et fière du thème folklorique « Aala dal’ouna ». Enfin, le final (qualifié de « grandiose ») reprend le thème du début, mélangé à l’ensemble des autres thèmes, utilisés dans toutes les précédentes sections.
Les instruments sont présentés par famille ?
Oui car je tiens à réserver le timbre de chaque instrument chacun étant unique. L’entrée de chaque instrument doit être remarquée et remarquable. Je suis très attaché à l’idée que les bois ont une âme particulière, c’est l’appel de la forêt alors que les cuivres sont faits dans un métal qui a été traité par le feu et peuvent représenter la colère de Dieu. Les percussions, quant à elles, ne sont pas là juste pour marquer un rythme. Elles ont un rôle mélodique. La timbale notamment, et qui donne un caractère très fort. Le tam (frappé dans son centre avec la mailloche dure) représente la première bombe de la guerre et parfois je l’utilise avec des techniques particulières, demandant au percussionniste de taper sur le bord avec le dos de sa baguette en bois, afin de représenter un coup de feu.
Et les instruments à cordes ?
Je chéris la harpe particulièrement, pour son caractère féérique et qui peut également être un instrument de percussion. Les cordes contrairement à tous ces instruments qui ont un mécanisme particulier pour émettre un son, requièrent du musicien qu’il fabrique le son avec ses doigts… elles sont l’âme de l’orchestre.
Vous diriez de cette œuvre qu’elle est singulière ?
Absolument car j’utilise des techniques innovantes d’écriture, tant sur le plan harmonique que sur le plan rythmique, mais aussi dans le jeu des timbres et de l’orchestration. J’utilise par exemple régulièrement les cordes à vide du quintette à cordes pour monter en volume, un peu comme un orchestre qui s’accorde avant le concert, la harpe est utilisée dans la partie centrale comme un qanoun, et la flûte en sol où l’on entend le souffle du flûtiste nous rappelle nay.
Comment définiriez-vous le langage musical de cette œuvre ?
Empreint de deux cultures, entre orient et occident. Enfant, j’ai été très profondément marqué par la musique de Prokofiev, notamment le 3e Concerto pour piano. C’est une musique qui m’a traversé et dans laquelle je me suis reconnu dès l’âge de 13 ans. Je suis aussi un grand admirateur de Bartók qui notait les musiques populaires d’Europe de l’Est en leur donnant le statut de musique savante, ce que j’ai fait dans Beyrouth. D’ailleurs mon maître Abdel Rahman El Bacha a estimé que j’avais « réussi là où Bartok avait échoué dans la restitution du caractère folklorique de la musique de manière authentique ». Je ne suis pas tout à fait d’accord avec lui, mais très sensible à cet éloge. Le langage musical de l’œuvre est très imprégné de la musique folklorique de mon pays, rythmiquement mélodiquement, un peu comme un Bartók oriental. Comme je l’ai dit, imprégnée de mes deux cultures, l’orientale et l’occidentale.
Vous avez toujours aimé la musique orientale ?
Pas du tout ! Enfant j’en avais un déni total ! Et j’étais fasciné par la musique savante occidentale. Mais c’est en composant que je me suis aperçu que le Liban était là, enfoui et qu’il ne demandait qu’à sortir. Je me suis aussi récemment rappelé, l’enseignement, bref pour moi, mais si riche, de Toufic Succar au Liban, qui nous faisait chanter ses incroyables chorales issues du folklore libanais, utilisant le quart de ton, et qu’il avait harmonisé… Cette incroyable innovation lui avait valu bien des critiques, alors que son œuvre est juste immense… un autre Bartók oriental…
Et comment s’est passé le déclic de la composition pour le pianiste que vous êtes ?
Ayant eu une enfance très difficile, et mis très jeune à la porte de chez ma mère, j’ai dû me débrouiller pour gagner ma vie dès l’âge de 13 ans. Mais dès l’âge de 4 ans et demi, je voulais montrer à la religieuse qui me donnait des cours particuliers de piano, l’orage suivi de l’arc en ciel que je jouais sur les touches noires du piano. J’ai bien plus tard découvert une pièce de Prokofiev intitulée Arc en Ciel qui utilisait la même technique, ça m’a fait sourire. J’étais ébloui par les touches du piano et je voulais dessiner dessus. Avec un remarquable sens de la pédagogie, ladite religieuse dit à ma mère que son enfant n’est pas doué et que l’on n’en tirerait rien.
Mais dès l’âge de 13 ans vous commencez à donner des cours piano ?
« Je suis né à l’âge de treize ans », après avoir découvert Schubert, Chopin et Prokofiev. En moins d’un an, je suis rentré en 8e cours au Conservatoire de Beyrouth dont je suis devenu la mascotte. A cette époque, j’avais deux élèves en effet (jumeaux) auxquels j’ai écrit des pièces pédagogiques pour 4 mains, le Cycle des Danses belliqueuses, dont Grosse tête.
Vous êtes ensuite parti pour la France ?
Je voulais devenir pianiste et en France, j’ai travaillé avec de grands maîtres dont Billy Eidi à l’Ecole Normale de Musique de Paris, François-René Duchâble, Abdel Rahman El Bacha, et plus tard Plamena Mangova. Mais je n’ai pas suivi le parcours classique des concours internationaux. J’ai donc été sur une voie parallèle où j’ai enseigné le piano, la formation musicale, ou ai été chef de chœur ou d’orchestre dans des écoles nationales ou conservatoires de régions tels que Toulouse, La Rochelle, Paris…, mais la composition ne m’a jamais quitté. Pour la composition, j’ai suivi l’enseignement de Patrice Sciortino.
C’est avec lui que vous avez commencé l’ébauche de Beyrouth ?
Je lui fais part de mon idée et je l’écris sur un bout de papier. Il me donne quelques conseils sur les timbres des instruments et me montre le premier accord. Et là un gigantesque déclic se fait dans ma tête. Il a suffi de quelques mots qui ont tout débloqué. Par la suite, les professeurs du Conservatoire de Calais ont voulu interpréter l’œuvre et cela m’a beaucoup aidé.
Comment définiriez-vous votre musique ?
Je ne saurai l’expliquer mais je la situerai entre Prokofiev, Bartók et John Williams avec l’Orient toujours présent, Toufic Succar n’est aussi peut-être pas très loin. Je ne me compare pas à ces grands maîtres, je ne fais que situer ici mon langage musical. J’écris de matière naturelle ce que mon cœur me dit. Le plus important c’est l’honnêteté et l’humilité. J’ai mis longtemps pour le comprendre.
Où pourrions-nous écouter votre symphonie Beyrouth ?
Sur ma chaîne YouTube, sur le lien suivant : https://www.youtube.com/watch?v=DmweFTbv5dQ.
Je ne souhaitais pas diffuser ce lien au début, car la symphonie continue à participer à d’autres concours et ça pourrait la disqualifier. Cependant je décide aujourd’hui de rendre cette vidéo publique, car une œuvre est avant tout destinée à être écoutée et partagée.
Je précise que dans cet enregistrement, il s’agit d’une version utilisant des sons synthétisés d’ordinateur. Ce ne sont pas de vrais instruments, et encore moins des instruments solistes tel que requis par la partition. Je parle là surtout du quintette à cordes qui est beaucoup trop lourd dans cette version, car ce sont des sons de « sections de cordes » et non des sons d’instruments « solistes ». Mais ça donne une idée de l’œuvre. Il faudra attendre sa création sur scène pour mieux l’apprécier. J’espère que c’est pour bientôt.
Vous avez quand même continué une carrière de pianiste ?
Oui en donnant des concerts, et en participant à de grands concours amateurs ou semi-professionnels, tels que The Cliburn International Piano Competition où je me suis retrouvé en finale en octobre 2022, avec le 3e concerto pour piano de Prokofiev celui-là même qui avait éveillé mon regard sur la vie 40 ans plus tôt. C’était pour moi, un retour aux sources, avec la maturité en prime. Enfant, je vivais dans un monde parallèle, mal perçu par mes camarades d’école qui me raillaient, ma seule revanche était la musique. Sur scène je me sentais intouchable. Plus tard, j’ai compris qu’il n’y avait pas de revanche à prendre. Les gens ne sont pas là pour m’aimer, ni pour être aimés. Je joue alors comme je compose, avec sincérité. Je me donne et livre modestement qui je suis, et qui je suis devenu. Pour monter sur scène il faut beaucoup d’humilité, ce que j’essaie de mettre dans ma musique.
Votre but est de toucher les gens ?
Pour cela, il faut être soi-même touché, offert à nu sans artifice. Mélanger le paraître avec l’être. C’est là toute l’ambiguïté de la scène.
L’une de vos compositions s’intitule koullouna ?
Oui il s’agit de ma deuxième symphonie. En plus du titre générique de la symphonie, chaque mouvement porte un titre qui lui est propre. Le premier mouvement s’intitule le syndrome ewoks libanais, qui est une parodie d’après John Williams et l’hymne national libanais. J’ai récemment écrit le second mouvement d’une traite en une nuit en mettant sur le papier ce que j’entendais dans ma tête et j’ai terminé vers 11h du matin, pour découvrir avec beaucoup de douleurs, que je venais d’écrire une marche funèbre sur une variation de l’hymne libanais. Le 3e mouvement s’intitule Confessions où se mélangent des appels à la prière des trois religions. Quant au 4e mouvement, c’est une dabké générale.
Vous travaillez à d’autres œuvres ?
Oui, je viens de terminer un quintette pour piano et quatuor à cordes, utilisant le quart de ton que je présente à de nouveaux concours, je me suis aussi attaqué à un concerto pour piano, ainsi qu’à compléter mon cycle de préludes pour piano, et terminer mes danses belliqueuses pour 4 mains commencées à l’âge de treize ans et que j’avais arrêtées.
Que faut-il vous souhaiter ?
La composition me permet de me réaliser, et de mieux comprendre ce qui m’entoure. Je suis payé en retour, quand je découvre l’émotion de ceux que j’arrive à toucher avec ma musique… C’est seulement là, dans le partage, que je sais, pourquoi j’œuvre nuit et jour… Ce qu’il faut me souhaiter ? C’est donc d’être joué

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