Saison estivale intense à Beit Tabaris, la résidence musicale consacrée à la jeunesse libanaise musicienne : concerts et
masterclass se sont enchaînés à un rythme très soutenu, mêlant le lyrique, le piano solo et la musique de chambre.
Pour commencer, la soprano Samar Salamé, accompagnée par le pianiste Vartan Agopian. La jeune chanteuse effectuait son grand retour au Liban après plusieurs années d’absence et confirmait son talent accompli de récitaliste, offrant des pages variées entre airs d’opéras et mélodies. Très complice avec Vartan Agopian dont le jeu subtil soutient la ligne de chant, tout en s’affirmant quand il le faut et très à son aise dans des répertoires variés, Samar Salamé ouvre le récital sur Humoresque de Dvorak. Suivent L’air des bijoux, extrait de Faust de Gounod, avec ce qu’il faut de pétillant et l’air à la lune extrait de Russalka de Dvorak, avec la juvénilité brillante qui sied au rôle.
Vient alors un intermède pianistique, où le public déjà conquis découvre Invention n° 4 opus 2, œuvre d’un talentueux jeune compositeur libanais établi en France, le père Maroun Badr. S’enchaînent ensuite Vissi d’arte le grand air extrait de Tosca de Puccini, La complainte de la vieille salope de Gabriel Yared extrait du film Tatie Danielle et le célébrissime Summertime de George Gershwin. Nouvel intermède pour le pianiste Vartan Agopian, qui joue June 2, belle et mélancolique pièce de sa composition. Samar Salamé reprend la parole avec deux chansons des Beatles « réorganisées » par la cantatrice Cathy Berberian, grand moment d’humour lyrique, puis Aatini el-naya wa ghanni de Najib Hankache, dans un arrangement du regretté Georges Herro et, pour clôturer en beauté et en panache, un extrait de Carmen de Bizet, qui est repris en bis à la demande expresse de l’assistance.
Le second concert est consacré à la musique de chambre avec le Classical Music Club de l’Université américaine de Beyrouth (AUB). Ce collectif de jeunes instrumentistes, qui partagent avec enthousiasme l’amour de la musique, s’est donné comme mission de promouvoir et diffuser la musique classique et s’est déjà produit 19 fois en concert.
Leur concert à Beit Tabaris est très éclectique, entre musique russe, française, tchèque, polonaise et libanaise. Le courant passe remarquablement bien entre les jeunes instrumentistes, et le public est frappé par l’intensité de leurs échanges. Rita Asdikian (violon), Wiaam Haddad (piano et composition), Angelo el-Khoury (violoncelle), Johnny Khalil (piano), Khalil Chahine (piano), Moustapha el-Sahili (violoncelle) et Jawad Haddad (trompette) se relaient avec décontraction et grâce, ne faisant aucune concession à la qualité musicale qui est excellente.
Le programme s’ouvre avec Chansons que ma mère m’a apprises de Dvorak pour violon et piano, se poursuit avec une réduction du 1er mouvement du Concerto pour violoncelle de Chostakovitch, puis un arrangement par Glazounov pour violoncelle et piano de l’Étude n° 7 de Chopin et, pour clôturer, un arrangement pour trompette et piano de la célèbre mélodie de Poulenc, Les chemins de l’amour. Mais le clou du concert est le Trio pour piano opus 11 de Wiaam Haddad, né en 1997. Une œuvre en trois mouvements, au langage musical qui rend hommage aux grands maîtres de la composition et
maîtrise parfaitement les différentes formes de l’écriture musicale (Rondo-sonate pour le premier mouvement, Choral, variations et fugues pour le deuxième mouvement et Rondo pour le troisième mouvement). La partie de piano de l’œuvre ne laisse aucun moment de répit à l’interprète qui se trouve en être également le compositeur, et apporte une remarquable assise à des lignes qui se dessinent fermement dans un intense dialogue avec les archets. Les voix s’enlacent avec fluidité dans l’Andante, se répondent dans la fugue avant la touche étincelante du Rondo final enlevé avec un large souffle.
Pour clôturer les activités musicales de ce début d’été, voici ce à quoi Beit Tabaris est initialement destiné : une masterclass de plusieurs jours avec un maître venu spécialement de l’étranger pour se mettre au service et à la disposition d’un groupe de jeunes musiciens qui suivront son enseignement. Frédéric Vaysse-Knitter est un prince du clavier franco-polonais. Formé au Conservatoire national supérieur de Paris et en Italie, il a collaboré avec les plus grands chefs. Ses remarquables qualités de pédagogue ont immédiatement séduit les huit jeunes pianistes (Sarah Asfar, Jawad Hamadani, Daniel Karout, Elena Khoury, Tracy Moubarak, Emmanuel Sebaali, Haidar Shehadeh et Kevin Youssef) qui ont suivi son enseignement avec passion et avidité, progressant et évoluant en quelques jours.
Puis vient le jour attendu (et redouté !) du concert, chacun a choisi sa pièce. Les œuvres vont du baroque (J.S. Bach) au classique (W.A. Mozart et L. Van Beethoven) à l’impressionnisme (Ravel et Debussy) en passant bien évidemment par le romantisme (Chopin, Liszt) et par un compositeur arménien, Alexandre Aroutounian (1920-2012) dont l’œuvre, très rythmée, un peu dans le style de Khatchatourian, remporte un vif succès. Le récital se clôt magistralement par une extraordinaire interprétation d’Images n° 1 et n° 2 de Claude Debussy par Frédéric Vaysse-Knitter.
« Beit Tabaris, grâce à Naïla Jacques Saadé et Ferial Mitri Assha, est en mesure de poursuivre sa mission en faveur des jeunes musiciens libanais », souligne sa directrice et fondatrice Zeina Saleh Kayali. Rendez-vous donc en septembre de la direction de chœur et du piano d’accompagnement.