Jacques Debs le cinéaste mélomane, de Zeina Saleh Kayali-Agenda culturel

Jacques Debs le cinéaste mélomane dans l’Agenda culturel 2013-07-01, de Zeina Saleh Kayali

Jacques Debs est un cinéaste peu ordinaire. Ses films documentaires sont régulièrement programmés sur la chaîne Arte, et la musique, facteur essentiel de son processus créatif joue un rôle primordial dans son oeuvre. Jacques Debs vient de terminer le tournage d’un cycle de quatre films, intitulé ‘Eglises premières’, se déroulant au Liban, en Ethiopie, en Inde et en Arménie, et programmé pour le mois de décembre sur la chaîne France2.

Comment votre parcours vous a-t-il emmené jusqu’au cinéma ?

Beyrouth dans les années 1970 était très cinéphilique. On disait que pour une ville de 500.000 habitants, il y avait plus de 1.000 écrans commerciaux et privés ! Trois films ont provoqué ma ’’vocation’’. ‘Andreï Roublev’ de Tarkovski, ‘2001 l’Odyssée de l’Espace’ de Kubrick et ‘Roma’ de Fellini. J’avais quatorze ans quand le ciné-club de Beyrouth les avait projetés. J’étais sorti de ces films bouleversé et exalté. C’est à cet âge que j’ai choisi de devenir cinéaste. Imaginez la tête de mon père et ma mère en 1971, quand je leur ai annoncé ma décision. L’audiovisuel et le cinéma sentaient encore le souffre et la misère. Mes parents ont donc naturellement refusé de me payer ces études dans les pays de mes choix (US, France ou Italie). J’ai dû donc me débrouiller tout seul. J’ai demandé au cousin de ma mère, le regretté Nakhlé Moutran, fondateur de l’Union des communistes libanais, de m’envoyer en Pologne à Lodz. Il m’a répondu : ’’Je suis fâché avec les Polonais’’. Je lui ai dit :’’Alors à Prague’’, et il m’a rétorqué : ’’Je suis fâché avec les Tchèques !’’. Je l’ai alors supplié : ’’Là où tu veux, mais pas en Mongolie’’. Et c’est ainsi que, grâce à son appui, j’ai obtenu une bourse en URSS au fameux institut VGIK, fondé par Eisenstein. Vous êtes un cinéaste habité par la passion et vos films traitent toujours de sujets très forts et même parfois ultra sensibles comme les religions. Comment s’effectue pour vous le choix de ces sujets ?

Chacun d’entre nous a ses blessures et ses obsessions. Moi, j’avais dix-huit ans quand la guerre a commencé en 1975, et d’un jour d’un seul, je suis passé du bonheur au cauchemar. En tant que cinéaste j’ai voulu questionner mon monde, le creuser en profondeur. Je cherchais à comprendre les raisons de notre folie collective. C’est pourquoi, je me suis particulièrement intéressé dans mon travail aux religions, parce que je considère qu’au Liban, nous avons traversé l’enfer d’une guerre de religions à tiroirs, dont nous sommes, nous les Libanais, les seuls et uniques responsables. Pourquoi nous sommes-nous tant haïs, alors que le message des religions prône, soi-disant, l’amour ? J’ai été chercher ces débuts de réponse un peu partout dans le monde, jusqu’au Japon… Mon travail s’appuie sur trois moteurs : mes rêves, mes intuitions et le hasard des rencontres. Je ne prétends pas être scientifique et je revendique donc une subjectivité totale… Je ne crois absolument pas en l’objectivité dans le documentaire…
La musique est une partie intégrante de votre oeuvre et vous valorisez notre musique en travaillant régulièrement avec des compositeurs libanais. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette ’’correspondance’’ ?
Avant de voir un film, je l’entends. Pour moi, la musicalité d’un film est primordiale. C’est pourquoi, j’aime travailler avec des compositeurs. Je leur demande de composer avant le tournage pour que leur musique ne soit pas juste inspirée par les images au risque d’en devenir juste une illustration. J’ai eu la chance de travailler avec Rita Ghosn qui a composé une oeuvre puissante intitulée ‘Liturgy’ et qu’a chantée en araméen le contre-ténor islandais, Sverrir Gudjonsson.
C’était pour mon film ‘Miroirs brisés’. Pour ‘Bouzkachi’, un conte musical, j’ai invité le musicien turc Burhan Oçal à composer pour la voix de Sverrir une musique sur des poèmes du poète soufi perse, Hafez. Puis avec Sverrir et le compositeur Stomu Yamash’ta, le seul percussionniste au monde à jouer sur des pierres, j’ai tourné un documentaire musical. Sverrir et Stomu ont composé un oratorio sur des poèmes de la Saga islandaise, des haïkus de Ikkyû, le plus grand poète japonais, et des prières en araméen. Le film raconte le processus créatif au Japon et en Islande entre les deux musiciens, jusqu’au concert donné en l’église Saint Eustache à Paris. Sur mon dernier projet en cours de montage, j’ai demandé à Zad Moultaka de composer toujours pour la voix de Sverrir Gudjonsson, une musique originale basée sur les mots Foi, Espérance et Charité dans les langues des pays filmés : l’arménien, le syriaque, le guèze, pour l’Ethiopie et le malayalam pour l’Inde. C’est donc ma quatrième expérience avec Sverrir Gudjonsson. Zad est un compositeur d’une grande précision et à l’imaginaire complètement libre. Il manie toutes les audaces avec une telle dextérité ! Travailler avec Rita et Zad m’a apporté énormément. Leur sensibilité musicale est si subtile et puissante…
Parlez-nous de cette série de quatre films ’Les églises premières’ bientôt programmée sur France2 ?
Cette série de 4 films, de 26 minutes chacun, diffusée sur France 2, est intitulée ‘Mes Ethiopiques’. J’ai toujours rêvé de découvrir l’Ethiopie, pays fascinant et unique. J’ai donc conçu un projet sur certaines des ’’églises premières’’ qui ont été évangélisées par des apôtres et qui ont évolué en ’’Orient’’ dans des environnements neutres, sinon hostiles. Chacune de ces églises est à la frontière d’un islam particulier, l’arménienne au turc, la maronite à l’arabe, l’éthiopienne à l’africain et l’indienne à l’islam de l’Inde. Les réponses de ces églises face à l’adversité s’articulent toujours autour de la ’’charité’’, vertu cardinale selon Saint Paul et qui caractérise l’engagement chrétien vis-à-vis de l’humain aussi bien dans les églises apostoliques telles l’arménienne et l’éthiopienne, que les catholiques comme la maronite et la syro-malabar et syro-malankar en Inde. Ces quatre films seront diffusés les quatre dimanches de l’Avent 2013. J’ai écrit un livre sur le même sujet, édité par Albin Michel et qui sera en librairie le 1er novembre.

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