Dans l’Agenda Culturel LES MUSICALES DE BAABDATH RENDENT HOMMAGE À TOUFIC SUCCAR 2022-11-10 de Zeina Saleh Kayali
Pour l’avant-dernier concert des Musicales de Baabdath qui se sont illustrées par une programmation de très haut niveau donnant notamment la parole à de nombreux instrumentistes libanais, une excellente soirée de musique de chambre par Elena Rindler au violon, Adèle Bitter au violoncelle et Holger Groschopp au piano. Ces trois remarquables musiciens membres du Deutsches Symphonie-Orchester Berlin offraient en partenariat avec le Goethe Institute, un programme éclectique, composé majoritairement de musique romantique allemande, mais aussi de musiques française et libanaise du 20e siècle, répertoires très différents mais exemplairement servis.
Le concert s’ouvre sur la Sonate pour violon et piano en la majeur de Franz Schubert (1797-1828), œuvre en quatre mouvements datant de 1817 mais publiée seulement en 1851 ce qui laisse supposer qu’elle fut surtout jouée lors des fameuses Schubertiades, ou salons musicaux, très en vogue et qui ont largement contribué à la diffusion de la musique classique au 19e siècle. Les deux interprètes sont en connexion parfaite, et le pianiste fait merveilleusement corps avec la palette sonore de sa partenaire. S’installe d’emblée entre eux un dialogue complice et chaleureux, où la ferveur de l’archet va de pair avec un piano qui s’épanouit librement.
Puis vient Francis Poulenc (1899-1963), compositeur souvent injustement considéré comme léger, ce qu’il n’est absolument pas. Sa sonate pour violoncelle et piano, composée entre 1940 et 1948 et créée en 1949 par son dédicataire le violoncelliste Pierre Fournier et Poulenc lui-même au piano, fut à l’époque jugée « agréable, mais sans plus ». Or c’est une œuvre aussi fluide que vibrante. On y trouve du feu, du lyrisme, de la gouaille, de la passion, le tout tracé avec le chic et l’allant typiques de Poulenc. La violoncelliste fait merveille. Des graves les plus profonds aux notes les plus élevées, sa sonorité demeure pleine de chair et de souplesse.
Après un entracte d’une dizaine de minutes, place au patrimoine musical libanais avec la Fantaisie libanaise pour violoncelle solo de Toufic Succar (1922-2017). Ce géant de la musique libanaise, que l’on appelle aussi le « Bartok libanais », au vu de son œuvre de notation et d’harmonisation de la musique traditionnelle, aurait eu cent ans en ce mois de novembre. Quel plus bel hommage au maître que de programmer l’une de ses pièces majeures, datant de 1964 et qui résume si parfaitement la notion même du dialogue des cultures ? Une maîtrise parfaite de l’outil d’écriture occidental, au service d’un patrimoine musical à l’origine traditionnel et à qui l’on donne ses lettres de noblesse de musique savante. L’œuvre est d’une difficulté redoutable car elle intègre les quarts de ton et demande à l’interprète occidental de revoir entièrement la technique dont il a l’habitude. Adagio-Allegro, Taqsim et Dabké, les trois mouvements sont enchaînés avec un extraordinaire brio par la violoncelliste qui relève le défi, réussit ce tour force et récolte une longue ovation par un public ému aux larmes.
Après l’âpreté du violoncelle solo, qui laisse le souffle coupé, voici que la musique replonge dans les délicieuses et enveloppantes volutes du romantisme allemand. Les trois interprètes sont là pour le Trio n° 1 en ré mineur de Félix Mendelssohn (1809-1847). Cette œuvre majeure du répertoire chambriste romantique, alterne profondeur et légèreté, douceur et violence, tristesse et gaité, mettant en valeur le dialogue des trois instrumentistes et leur homogénéité.
Grâce soit rendue aux Musicales de Baabdath, qui en plus d’offrir des moments musicaux de grande qualité, valorisent et diffusent le patrimoine musical libanais qui reste encore trop injustement méconnu.