Zeina Saleh Kayali
Tous les mois Zeina Saleh Kayali, fondatrice et directrice de la collection Figures musicales duLiban aux Editions Geuthner, fait pour l’Agenda culturel le portrait d’un compositeur libanais. Qu’ils soient décédés en ayant jeté les bases de la musique savante libanaise, qu’ils soient vivants au Liban ou à l’étranger, ces créateurs souvent méconnus, portent haut les couleurs de notre pays.
Au moment où sa biographie paraît dans la collection Figures musicales du Liban (éditions Geuthner) il est intéressant de revenir sur le parcours d’Abdel Rahman El Bacha et notamment sur le compositeur qui est nettement moins connu que le pianiste.
Né à Beyrouth en 1958, Abdel Rahman El Bacha montre très tôt des dispositions pour la musique y compris pour la composition et dès l’âge de six ans, il compose sa toute première pièce, Spakra. Son père, Toufic El Bacha (dont la biographie vient également de sortir dans la même collection), l’emmène à Radio Liban afin de la faire enregistrer. Une première composition dont le sens du titre échappa à tous (y compris à son compositeur !)
Pendant de nombreuses années, Abdel Rahman El Bacha se consacre entièrement à sa carrière de pianiste ne composant que pour lui-même. Mais en 2017, le chef d’orchestre Fayçal Karoui interprète en création ses trois Pièces mystiques (Pèlerins, Prélude et Choral) pour orchestre.
Il arrive aussi que Abdel Rahman El Bacha interprète lui-même ses œuvres pour piano. Ainsi, en 2017 au Festival de la Roque d’Anthéron il donne ses Trois pièces orientales, qui insérées entre Granados et Chopin, suscitent un vif engouement de la part du public. Encouragé par cet accueil, il prend la décision de faire publier ses œuvres aux éditions Delatour France et enregistre Arabesques, un disque monographique de sa musique pour piano (2017).
Généralement les pièces d’Abdel Rahman El Bacha sont assez courtes et le compositeur est attaché à l’idée que « ce qui compte dans l’art c’est la qualité avant la quantité ».
Quand on lui demande quelles sont ses sources d’inspiration, Abdel Rahman El Bacha dit que c’est avant tout la musique romantique qui l’habite comme interprète, mais également la musique arabo-andalouse et les chansons libanaises qui le ramènent à son enfance et aux compositions de son père.
Certains événements de la vie font que d’une improvisation nait soudain une pièce qui lui semble mériter d’être écrite et publiée. Ainsi, le drame vécu par un couple de ses amis, la noyade de leur fille, lui a inspiré Marie ou la mort d’un enfant, du recueil Préludes et chants.
Abdel Rahman El Bacha a reçu quelques commandes dans sa carrière de compositeur, bien que généralement la plupart de ses œuvres soient nées spontanément, par l’émotion d’un moment, inspirées par les enfants (Le monde des enfants), ou par sa vie sentimentale. C’est là que le langage musical de l’œuvre prend un aspect plutôt romantique. « Schumann est le poète principal de l’amour dans la musique pour piano et très souvent quand j’improvisais c’était involontairement le style de Schumann qui venait sous mes doigts » dit-il. Certaines commandes ont émané de son père Toufic El Bacha. Il s’agissait de musiques de scène qui devaient traduire la période préislamique et évoquer la vie en Arabie avant l’arrivée du Prophète. C’est ce qui lui a inspiré la Danse rituelle. C’est la plus longue de ses pièces pour piano et il a utilisé, pour la composer, un mode qui pourrait évoquer les modes orientaux sans modifier l’accord occidental du piano. Une autre commande vient de la rencontre avec le grand compositeur égyptien Mohammad Abdel Wahab. Le maître confie toutes ses œuvres en cassettes magnétiques à Abdel Rahman et lui dit qu’il peut choisir ce qu’il veut et y travailler. C’est ainsi que sont nées les Variations sur un air égyptien.
L’œuvre de Abdel Rahman El Bacha, intimiste et attachante, vaut vraiment la peine d’être découverte.