UN CONCERT MÉMORABLE - JORDI MORA
C’est en collaboration avec l’ambassade d’Espagne au Liban, que l’Orchestre Philharmonique du Liban a donné un concert le vendredi 8 mars, sous la direction de Jordi Mora. Au programme : la troisième Symphonie Op.90 de Johannes Brahms (1833-1897), «ISON» une œuvre contemporaine du compositeur libanais Zad Moultaka (né en 1967), un Nocturne pour cordes d’Edouard Toldrá (1895-1962) et la deuxième suite tirée du Tricorne de Manuel De Falla (1876-1946).
Mon point de vue ici est celui du musicien qui a participé au concert et non pas celui de l’auditeur. D’emblée j’aimerais exprimer toute l’admiration de mes collègues pour ce chef d’orchestre hors du commun. En effet le travail avec Jordi Mora a été des plus fructueux et des plus bénéfiques pour l’orchestre; jamais les instrumentistes n’ont été aussi à l’aise dans leur jeu et n’ont ressenti un tel entrain à jouer des œuvres aussi variées; jamais l’orchestre n’a sonné avec autant de beauté : un son d’une grande homogéneïté, chaud et rond.
Ceci me fait dire que : «n’est pas chef d’orchestre qui veux». Qu’il ne suffit pas de se mettre debout sur l’estrade, d’agiter une baguette et de compter un,deux,trois, pour se donner le titre de maestro. Dans un article qui avait paru il y a quelque temps j’avais écris la chose suivante :«Diriger un orchestre, c’est guider, mener, inspirer et coordonner un ensemble de musiciens formant l’orchestre afin de donner une certaine cohérence à l’œuvre qui est jouée. Interpréter, c’est sculpter l’œuvre en question, la mettre dans un moule, la mesurer, la doser et lui donner une forme sans toutefois trahir l’esprit du compositeur. La partition devient une sorte d’image sonore que le chef d’orchestre perçoit avec son oreille intérieure, la décode et la transmet à tout l’orchestre. Le chef d’orchestre, tel le metteur en scène, met en image sonore la partition du compositeur. Il doit savoir faire apprécier et comprendre par chacun des musiciens de l’orchestre, toutes les données écrites par l’auteur afin, qu’à son tour, l’orchestre puisse transmettre aisément la musique au public».
Ainsi, dans la troisième symphonie de Brahms, Jordi Mora arrive à obtenir des musiciens une belle lisibilité de la partition et une mise en valeur des différentes sections par des tempos plutôt amples. Le charme s’opère tout au long des mouvements : les cordes vibrent chaleureusement, les bois chantent avec harmonie et les cuivres sonnent sans donner dans le clinquant.
Le Nocturne de Edouard Toldrà va servir de tremplin aux danses de Manuel de Falla. Une musique toute pleine de nostalgie qui, sans sombrer dans le sentimentalisme, garde un côté bien séduisant.
Avec la deuxième suite du Tricorne de Manuel de Falla, nous plongeons dans un univers totalement différent : c’est la danse qui prédomine pour ce ballet composé au lendemain de la première guerre mondiale et créé à Londres dans une chorégraphie de Léonide Massine, et des décors et costumes signés Pablo Picasso. Ici, Jordi Mora mène la danse (tout comme Mephisto conduit le bal) en mettant bien en valeur l’orchestration féerique de Manuel De Falla.
Entre Brahms et De Falla, va se glisser le jeune Zad Moultaka qui, avec ses huit minutes de musique intitulée «ISON», nous introduit dans le monde des effets sonores. L’écriture est recherchée, car Zad nous décrit ici, la chose et son contraire, des bruits internes et externes un discours qui nous rappelle le monde sonore d’Edgard Varèse : ISON ne serait-il pas le pendant de IONISATION ? remarquablement colorée, la musique de Zad Moultaka ouvre une nouvelle voie dans le paysage de la création musicale libanaise.
Un programme varié que Jordi Mora a su monter avec minutie (et patience). Nous lui sommes reconnaissant de nous avoir appris à donner le meilleur de nous-même.
Etienne Kupélian