Zeina Saleh Kayali
Rentré depuis quelques semaines au Liban après six ans d’études au prestigieux conservatoire Tchaïkovski de Moscou, le jeune pianiste Serge Moukarzel se confie à l’Agenda Culturel.
Comment êtes-vous « tombé » dans la musique ?
Je ne m’en rappelle presque pas ! Mes parents me racontent que dès l’âge de 5 ans je m’intéressais au piano qui se trouvait chez nous. Ils sont eux-mêmes très mélomanes, mon père aime plutôt l’opéra et la chanson, et ma mère la musique libanaise et du monde arabe. J’ai commencé l’apprentissage du piano chez les cousines de mon père qui étaient elles-mêmes de bonnes pianistes. Puis après une succession de professeurs je me suis inscrit à l’école de musique des Antonins où j’ai suivi pendant quatre ans l’enseignement d’Armen Ketchek.
Vous avez alors envisagé de faire de la musique votre métier ?
Mes parents souhaitaient me voir effectuer un cursus classique d’ingénieur d’autant que j’étais très fort en mathématiques et en physique (d’ailleurs je vous signale que les enfants qui font de la musique sont très forts en maths !). Mais lors d’un concert à l’Université Antonine, le père Toufic Maatouk demande à parler à mes parents et les informe que je devrais absolument poursuivre le piano professionnellement. Je me suis alors inscrit pour intégrer une école à Londres et la veille de l’examen d’entrée, j’apprends que je n’ai pas obtenu mon visa pour l’Angleterre. Ce fut un choc terrible. Je m’étais préparé pendant des semaines et tout s’écroulait d’un coup.
Vous vient alors l’idée de la Russie ?
Les choses ne se sont pas faites d’un coup. Il y a eu deux rencontres décisives et tout a commencé grâce à la fonction de tourneur de pages ! Le pianiste ukrainien Vadym Kholodenko donnait un récital en l’église des Capucins à Beyrouth et il m’a été demandé de lui tourner les pages. Il interprétait une musique qui me semblait bizarre : une sonate de Berg, les 24 préludes de Kabalevski et enfin la 3e sonate de Prokofiev. Ce fut pour moi une immense découverte. Je dois beaucoup à ce pianiste qui m’a énormément encouragé à postuler pour la Russie. Après notre conversation je ne pensais plus qu’à cela.
Et la deuxième rencontre ?
C’était lors d’un concert à l’Université Antonine avec un pianiste russe, Alexander Ghyndin, à qui j’ai également tourné les pages. C’est grâce à lui que j’ai obtenu le contact de celui qui allait devenir mon professeur à Moscou. Sergei Koudriakov. Je voulais aller en Europe occidentale, mais la providence m’envoyait dans une autre direction.
Comment se sont passés vos débuts à Moscou ?
C’était très difficile. Il fallait s’adapter à tout : la langue, la culture, le climat. Mais dès que j’étais au piano je me sentais chez moi. La première année est une année préparatoire pour les étrangers où l’on se familiarise avec la langue l’histoire de la musique russe et la méthode de travail, en plus du piano bien sûr. A la fin de cette année, on passe un examen qui permet (ou pas !) d’accéder à l’enseignement du conservatoire à proprement parler.
Vous y êtes resté six ans ?
Oui et j’ai fait le cursus de concertiste, ainsi que celui de chambriste. C’est d’ailleurs dans la classe d’accompagnement des chanteurs que s’est éveillé mon amour pour l’opéra, J’y ai découvert un monde nouveau, j’ai rencontré des gens incroyables, dont certains sont morts hélas depuis. Mais j’ai eu la chance d’avoir travaillé avec le même professeur de piano pendant les six ans.
Et maintenant que vous êtes rentré au Liban, qu’allez-vous faire ?
L’idéal pour moi serait d’être basé à l’étranger mais revenir régulièrement au Liban. C’est le propre d’un musicien de voyager souvent.
Vous intéressez-vous au patrimoine musical libanais ?
Oui énormément. J’aime tout particulièrement la musique de Naji Hakim et je trouve que son Ouverture libanaise est un chef d’œuvre. J’ai également eu l’occasion de rencontrer la veuve de Toufic Succar, grâce à une famille française établie en Russie.
Que faut-il vous souhaiter ?
De la chance et l’inspiration nécessaire pour pouvoir continuer.