Richard Moukarzel à Beit Tabaris, ses pélerinages musicaux par Zeina Saleh Kayali-Agenda Culturel

Dans l’Agenda Culturel LES PÈLERINAGES MUSICAUX DE RICHARD MOUKARZEL À BEIT TABARIS

2024-01-04

Zeina Saleh Kayali
Richard Moukarzel, auréolé d’un doctorat en musicologie de la Royal Holloway University de Londres, sur le sujet de l’Association sémantique dans le cycle du Ring de Richard Wagner et l’émancipation du spectateur wagnérien, est revenu à Beit Tabaris pour la plus grande joie de son nombreux public qui l’attendait avec impatience.

Comme l’année précédente, il s’agissait un récital-concert, empreint d’une grande érudition musicale (et souvent d’humour), cette fois-ci sur le thème des Pèlerinages musicaux. Il ne s’agit pas ici de pèlerinage au sens religieux du terme mais plutôt, comme l’envisageaient les Romantiques, d’une évocation poétique de voyages, avec une référence très nette à Franz Liszt (1811-1886) et ses Années de pèlerinage à travers l’Europe.

En introduction, Paris mélodie d’automne op. 69 de Bechara El Khoury (né en 1957), œuvre nostalgique et fascinante qui évoque les flâneries du compositeur à travers la ville, sous un ciel d’automne. Richard Moukarzel après avoir présenté Bechara El Khoury, et fortement exhorté le public à découvrir son vaste et remarquable catalogue orchestral, explique que l’exil du compositeur, qui a quitté le Liban pour la France en 1979, tient une part importante dans son œuvre et en est puissamment évocatrice.

Puis vient Sur un sentier recouvert, de Leos Janacek (1854-1928), cycle de dix œuvres pour piano, relativement peu jouées, ce que regrette le jeune musicologue. Ces miniatures en réminiscence de la musique romantique allemande, sont en apparence simples et bucoliques et évoquent des scènes campagnardes, de la vie quotidienne ou des souvenirs d’enfance et alternent les passages calmes, lyriques, dansants ou violents. Richard donne de passionnantes explications en les ponctuant d’exemples au piano, sur le langage musical de Janacek dont l’obsession est de transcrire la parole en musique et qui fait sonner le piano comme s’il s’agissait d’un dialogue. Mais en fait le véritable sujet de ces pièces est le profond chagrin éprouvé par Janacek à la mort de sa fille Olga disparue à l’âge de 21 ans. Ainsi quand il arpente le « sentier herbeux » il s’agit d’une métaphore pour évoquer sa peine qui revient sans cesse. La fin du cycle est ponctuée par une série d’accords lugubres et solennels. Le public retient son souffle, avant que la salve d’applaudissements n’éclate.

Pour la prochaine étape de ce palpitant pèlerinage musical, Richard Moukarzel nous emmène sur les pas de Franz Liszt et Marie d’Agoult à travers l’Europe. Le Sonnet de Pétrarque (dont Richard a souhaité que le texte figure sur le programme distribué au public), est l’une des pièces maîtresses des Années de pèlerinage de Franz Liszt. Extraite du Livre II, consacré à l’Italie, cette œuvre d’un romantisme échevelé, comme la plupart des numéros de ce cahier, propose un aperçu de l’Italie, vue à travers le prisme de son art ancien (peinture, sculpture, littérature).

Le pèlerinage se termine par un bouleversant hommage de Franz Liszt au compositeur Richard Wagner (1813-1883), qui se trouve être également son gendre, à travers l’une de ses pièces les plus poignantes du répertoire romantique, La mort d’Isolde, extraite de l’opéra Tristan und Isolde. Et avant d’interpréter cette pièce, Richard Moukarzel donne quelques explications au sujet de Wagner, ce qu’il a apporté à la musique, ainsi qu’un aperçu de ses principaux opéras.

A travers quatre compositeurs venus d’univers très différents, et aux langages musicaux parfois même opposés, Richard Moukarzel, passé maître dans le difficile exercice du récital-conférence, a réussi à trouver une synthèse, un fil conducteur, une cohérence pour fédérer son propos. Et c’est cela aussi savoir transmettre l’amour de la musique.

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