Les Cris du Silence de Rima Tawil
Alors qu’elle s’apprête à donner un concert intitulé « Cris du silence » en l’église de la Madeleine à Paris, la cantatrice et cheffe d’orchestre Rima Tawil répond aux questions de l’Agenda culturel.
Ce concert sous-titré « Mélodies et symphonies des enfants de la guerre » revêt un sens spécial pour vous?
« Cris du silence » est un titre qui émerge de mon cœur et de ma conscience, une métaphore qui incarne les douleurs et les voix étouffées de toutes les victimes des conflits, sans distinction d’âge, de genre ou d’origine. Je suis une enfant de la guerre, née au Liban, une terre où le fracas des armes a souvent fait taire les rires et les rêves.
Les enfants de la guerre grandissent dans l’ombre de la peur, dans un lieu où l’avenir semble incertain. Quant aux adultes, ils deviennent les témoins d’une lente érosion de l’innocence et des espoirs. Pourtant, trop souvent, ils détournent les yeux.
Depuis toujours, j’ai foi dans le pouvoir de la musique. Elle ne se résume pas à une simple expression artistique, elle va bien au-delà. Ce langage universel est une porte d’entrée vers un monde où la culture et la créativité ont un rôle fondamental. À travers la musique, on grandit, on s’épanouit, on découvre un potentiel expressif, ludique et créatif.
Je ne peux pas apporter de riz, de couvertures ou de médicaments — ces ressources matérielles cruciales que d’autres initiatives peuvent fournir. Mon engagement et mon insistance se concentrent sur l’éducation musicale. Offrir un accès à la musique, c’est donner aux enfants et aux adolescents une alliée dans leur développement, un refuge face aux épreuves, et un pont vers la connaissance et la découverte de soi.
C’est ce bonheur, cette harmonie intérieure que je souhaite partager avec eux à travers ce concert, «Cris du silence », qui incarne l’espoir que, même face aux tragédies, la musique peut redonner une voix à ceux dont les paroles ont été étouffées. Par la musique, nous pouvons offrir un espace d’expression, une chance de faire résonner les silences imposés et de restaurer la dignité de ceux qui ont tant à dire.
Quel en est le programme et quels en sont les interprètes?
Avec l’orchestre Pasdeloup, le Choeur de Chambre de l’Île-de-France, et le choeur « Aria de Paris », nous voulons faire éclater ce cri puissant. Au programme : Ouverture de Carmen de Bizet, Marche hongroise de la Damnation de Faust de Berlioz, Gloria de Poulenc, Repentir de Gounod, Ballet Finale d’Hérodiade de Massenet, Masquerade, Valse et Danse du sabre de Khatchaturian ainsi que des créations de Rania Awada, Alan Al Helou, Marine Gyulumyan et Eros Babylone.
Vous menez en parallèle une carrière de chanteuse lyrique et de cheffe d’orchestre. Comment est-ce compatible?
Je vais essayer d’expliquer comment on parvient à équilibrer une carrière de chanteuse lyrique et de cheffe d’orchestre, car ces deux disciplines demandent des compétences distinctes tout en étant profondément complémentaires. Ma carrière de chanteuse lyrique, avec cinquante rôles interprétés sur scène, des enregistrements, la création de mon projet « Orientarias » (introduction de la langue arabe à l’art lyrique) m’a permis de plonger au cœur du monde de l’opéra et de l’orchestre. Chaque rôle que j’ai interprété m’a non seulement enrichie artistiquement, mais m’a aussi familiarisée avec la complexité des œuvres orchestrales. Être sur scène m’a donné un point de vue unique sur l’interaction entre la voix et l’orchestre. Le fait d’avoir travaillé avec de nombreux chefs d’orchestre tout au long de ma carrière m’a permis d’observer, d’apprendre et de m’imprégner de leurs différentes approches. Souvent, lors des répétitions, le chef me tendait la baguette pour qu’il aille vérifier le son au fond de la salle. Je dirigeais par instinct. Cependant, avoir une notion théorique de la direction d’orchestre ne signifie pas être immédiatement capable de diriger. Quand j’ai finalement pris la baguette en main, j’ai réalisé que l’art de diriger demandait une approche totalement différente. C’est un rôle qui revêt une autre personnalité, une autre forme d’autorité artistique et surtout beaucoup de technique. En tant que chanteuse, j’étais habituée à interpréter et à exprimer la musique d’une manière très personnelle. En tant que cheffe d’orchestre, il s’agit de coordonner, de guider, et de sculpter le son à un niveau plus global tout en restant en lien avec chaque musicien. Cela demande une écoute active, une grande sensibilité au détail et à l’équilibre sonore, et une vision très claire de l’œuvre.
En somme, réussir à mener ces deux carrières en parallèle me permet de fusionner ces deux perspectives : l’interprétation lyrique et la direction orchestrale. Elles s’enrichissent mutuellement, me donnant à la fois la sensibilité d’une interprète et l’autorité d’une cheffe d’orchestre. Les défis sont donc nombreux.
Que faut-il vous souhaiter?
Souhaitez-moi de continuer à apprendre, à me dépasser, à découvrir de nouvelles œuvres, de nouveaux répertoires, de pouvoir aider les jeunes chanteurs, instrumentistes et compositeurs, et à trouver des moyens profonds de toucher l’âme des gens. Je vous attends le 14 octobre à 20h à l’église de la Madeleine. Merci à tous ceux qui soutiennent cette initiative, et qui croient, comme moi, que la musique a le pouvoir de changer le monde.
A savoir
Lundi 14 octobre à 20h00
Église de la Madeleine, Place de la Madeleine, Paris, France