Tout est permis !…. à Beiteddine  MUSIQUEFESTIVAL 24/07/2025, de Nadine Nassar pour l’Agenda culturel
Lieu Cour du Palais de Beiteddine, 23 et 24 juillet 2025.

 À la tombée de la nuit, les projecteurs s’allument. Sur scène, Safinat al-Machahir, littéralement “le bateau des célébrités”, stylisé comme un paquebot des années 30, glisse entre deux niveaux de jeu. Il y a le Tiliac (pont d’arrivée), les escaliers, le pont supérieur, et des décors amovibles qui deviennent tour à tour chambre, cellule, ou salle de bal. Parfois, deux d’entre eux glissent en simultané, jouant avec la profondeur et le rythme de la scène.

 Kello Masmouh, adaptation arabe du musical culte Anything Goes, n’est joué que deux soirs à Beiteddine. Deux soirs intenses, dans un cadre majestueux, pour offrir au public un moment d’évasion, de rire et d’énergie.

 Créée en 1934 à Broadway, Anything Goes est une comédie musicale composée par Cole Porter, à la fois satirique et romantique. L’histoire se déroule sur un navire en partance de New York pour Londres, où s’entrelacent impostures, romances improbables, et humour de situation. Le livret original de P.G. Wodehouse et Guy Bolton fut réécrit après un naufrage réel – preuve que le théâtre s’adapte toujours à son époque. Mais ce qui a traversé le temps, ce sont les chansons intemporelles de Cole Porter : “You’re the Top”, “I Get a Kick Out of You”, “Anything Goes”. Un compositeur au swing élégant et au mordant jubilatoire.

 À Beiteddine, c’est donc un classique qui renaît, entièrement localisé en arabe, sous la direction de Roy el-Khoury, déjà salué pour « Chicago bil Arabi », qui avait élevé le niveau des comédies musicales au Liban. Il signe ici une mise en scène précise, rythmée, joyeusement référencée, et enrichie par un humour finement adapté au public local.

 La musique, elle aussi, a été soigneusement retravaillée. Aux accents jazzy d’origine s’ajoutent des rythmes espagnols et orientaux, le tout magnifiquement interprété par un orchestre de 16 musiciens internationaux et 6 choristes, dirigé par Elio Kallassi. Les paroles, localisées avec finesse, dansent littéralement avec la musique.

 Sur le pont du navire, les tableaux s’enchaînent sans jamais se ressembler : claquettes virtuoses, valse, tap danse de marins millimétrées, chorégraphies de groupe élégantes et pleines de vie. Le Broadway des années 30 rencontre l’accent libanais avec panache.

 Et au centre, brillante, souveraine, Carole Samaha. Elle incarne Yasmina, personnage fantasque et fière, dans une prestation d’une intensité rare. C’est son grand retour au théâtre musical après 17 ans d’absence, et c’est peu dire que l’attente était forte. On se souvient de ses débuts avec Mansour Rahbani, où elle incarnait déjà une certaine idée du théâtre musical panarabe. Mais ici, elle réinvente son art : elle chante, elle joue, elle danse, avec une précision et une présence qui forcent l’admiration.

 Ses tenues, signées Jean-Louis Sabaji, capte la lumière comme elle capte les regards. Tout autour d’elle s’articule avec justesse. Elle polarise la troupe sans l’éclipser : sa maîtrise, sa dignité, sa clarté de jeu donnent le ton. Sa voix puissante, posée, parfois émue, traverse le rôle avec noblesse.

 Elle ne porte pas seule le spectacle. À ses côtés, un casting solide, harmonieux, chacun trouvant son ton et sa couleur. Roy el-Khoury lui-même incarne Karim avec justesse, et c’est aussi lui qui signe une mise en scène cohérente malgré l’ampleur du défi. Fouad Yammine, dans sa troisième collaboration avec el-Khoury, incarne un faux-prêtre maladroit et hilarant, dans un rôle burlesque dont il a le secret. Il sème de la tendresse et du rire partout où il passe – notamment dans la scène mémorable de confession… où le vrai prêtre finit par être emporté à son insu. Les clins d’œil aux personnages typiques libanais ne manquent pas : la mère qui veut à tout prix à marier sa fille, Rami el-Alam qui se proclame « le meilleur agent immobilier du Liban », Yasmina follement éprise d’elle-même, ou encore les fausses identités montées en épingle pour séduire les médias.

 Joy Karam, qui chante pour la première fois, séduit dans un rôle candide et mutin. Dori Samrani campe un Rami el-Alam aussi charmeur qu’évasif. Nour Helou, lumineuse, offre à son personnage Amal des envolées vocales remarquées. Nazih Youssef et Regina Simonides, dans des rôles plus comiques, apportent une touche d’absurde bienvenue. Charbel Sammour, en capitaine extravagant, termine d’ancrer l’ensemble dans une douce folie.

 Le spectacle dure plus de deux heures (avec entracte), et le public ne décroche pas une minute. La scène finale du mariage, très broadwayienne dans sa forme, finit de convaincre. Ils sont parfois plus de vingt sur scène, entre escaliers, balustrades et ponts, et l’ensemble reste lisible, dynamique, et fluide.

 Ce qui impressionne, c’est l’harmonie du tout. Roy el-Khoury n’utilise pas le musical comme un prétexte, mais comme un langage total. Il joue avec l’espace ouvert de Beiteddine, intègre ses contraintes, transforme la cour en véritable théâtre marin.

Et surtout, on rit. Beaucoup. C’est drôle, fin, localisé sans être lourd. On s’amuse sincèrement devant ce feu d’artifice de situations absurdes, de dialogues bien sentis, de chorégraphies gracieuses.

 Kello Masmouh – “tout est permis” – n’est pas qu’un titre. C’est une promesse. Celle qu’on peut encore créer, rire, chanter, ici, au Liban. Une comédie musicale ambitieuse, joyeuse, collective. Et un magnifique hommage à la scène, ce lieu où la beauté, le deuil et le rire continuent d’exister, ensemble.

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