Bahjat Rizk: Patrimoine immatériel et identité nationale (2)

2012-12-17





OPINIONS
II.- Patrimoine immatériel libanais et identité nationale
mardi, décembre 18, 2012

Bahjat RIZK
De manière concrète, on peut observer qu’au Liban, la loi de 1993 qui institua le ministère de la
Culture ne faisait pas mention de ce patrimoine et ne prévoyait pas de
structure chargée de ce suivi qui n’avait pas encore été suffisamment identifié et conceptualisé
(voir L’Orient-Le Jour du mercredi 12 décembre 2012). Toutefois, dès la ratification de la
convention en 2007, le ministère de la Culture a été réorganisé pour
intégrer une sous-direction spécifique au patrimoine culturel immatériel libanais. Une mise en
place d’un inventaire du patrimoine immatériel national est en cours, composé d’arts populaires, de
pratiques et de traditions sociales tels que le zajal (poésie dialectale improvisée ou joutes
poétiques dialectales rimées), de contes, légendes et mythes, de
savoir-faire artisanaux (coutellerie, verrerie, tissage au fil de soie, fabrication de cloches,
tapisserie...), de chants poétiques du Mont-Liban, de pratiques des derviches tourneurs de Tripoli,
de musiques et chants de musique savante arabe (wasla, mouwachah,
qassida, ghazal...), des chants de bédouins, des savoirs traditionnels en matière médicinale, de la
fabrication du oud, de la dabké, etc. En bref, ce patrimoine immatériel libanais appartient à tous
les Libanais, toutes communautés libanaises religieuses confondues, et leur permet de se retrouver
et de s’identifier collectivement à travers des
mœurs communes, au-delà de leur appartenance religieuse spécifique. Les deux concerts organisés par
la Lebanese Diaspora Overseas avec la Délégation du Liban auprès de l’Unesco pour la fête de
l’Indépendance, l’année passée et cette année, avec la dabké et les chants folkloriques nationaux
et arabes, ont démontré la capacité fédératrice de ce
type de manifestations chaleureuses, éloquentes et vivantes qui soudent les Libanais entre eux,
ainsi que les Arabes et les Orientaux, et les font communiquer dans une même ferveur autour des
mêmes valeurs universelles de liberté, d’amour de la terre, de
dignité, d’attachement aux racines, de fierté et d’ouverture sur le monde. Les Libanais, toutes
communautés et toutes catégories sociales confondues, communient et se rejoignent affectivement et
spirituellement de manière naturelle dans ce type de rencontres. C’est une expression authentique
et profonde d’un patrimoine commun festif,
musical, linguistique, chorégraphique et social. Avec la nourriture libanaise (qui fait partie du
patrimoine immatériel), ce patrimoine culturel vivant fait l’unanimité.
D’autre part, le projet en cours Patrimoine méditerranéen vivant (Medliher:
Mediterranean Living Heritage) vise à la sauvegarde du patrimoine immatériel méditerranéen en
facilitant la mise en œuvre de la Convention pour la préservation du patrimoine immatériel de 2003
de l’Unesco dans quatre pays méditerranéens, l’Égypte, la Jordanie, le Liban et la Syrie. C’est un
projet dirigé et financé par l’Unesco et l’Union européenne en partenariat avec l’association
«Maison des cultures du monde» et les ministères compétents des quatre pays précités.
Après la réunion du Caire en novembre 2010, une réunion se tiendra à la Maison des cultures du
monde du 17 au 18 décembre à Paris. Le bureau régional de l’Unesco à
Beyrouth a également organisé un atelier sous-régional au Liban en juillet 2011 autour de la mise
en œuvre de la convention de 2003. Il est donc très important de souligner la nécessité de la prise
de conscience, de sensibilisation et de formation tant au niveau des
décideurs politiques et économiques gouvernementaux qu’à celui des individus, des







groupes, des communautés, des associations et des ONG. La société civile a un grand rôle à jouer
dans l’identification, l’inventaire et la protection du patrimoine culturel immatériel. Nous avons
d’ailleurs une demande d’accréditation auprès du comité d’une ONG: la Fondation pour l’archivage et
la recherche de la musique arabe : Arab Music Archiving Research (AMAR).
Différents projets dans le même sens ont vu récemment le jour au Liban, notamment la création du
Centre du patrimoine musical libanais de Jamhour (CPML) présidé par Joumana Hobeika et créé à la
suite du recensement de 132 compositeurs libanais de
musique savante par Zeina Saleh Kayali dans son ouvrage Compositeurs libanais des XXe et XXIe
siècles, ou la création de la fondation Liban Cinéma (FLC) présidée par Maya de Freige et la
Fondation arabe pour l’image (FAI) dirigée par Zeina Arida. D’autres
initiatives généreuses et très engagées sont également en cours pour inventorier ce
patrimoine fédérateur vivant et vital pour la préservation de l’identité libanaise.
Certes, la constitution et la prise de conscience du patrimoine culturel immatériel dans le cadre
de la Convention de l’Unesco de 2003 sont encore à leurs débuts et ne peuvent pas
à eux seuls résoudre les conflits identitaires, y compris au Liban. Toutefois, c’est un processus
rendu encore plus indispensable par la situation au départ complexe libanaise et aujourd’hui par la
mondialisation pour renforcer la solidarité et le dialogue des cultures, respecter la diversité
culturelle, rejoindre le développement durable et
préserver la paix entre les hommes.
C’est un enjeu majeur de notre siècle à venir, pour établir une plate-forme commune à une humanité
diverse et unifiée, soucieuse des droits de l’homme et de l’exigence du
respect mutuel entre les communautés.

Bahjat RIZK

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