Zeina Saleh Kayali
Après deux ans d’un travail acharné, le baryton et musicologue Fady Jeanbart présente deux recueils de partitions consacrés aux œuvres de Wadia Sabra (1876-1952), père fondateur de la musique savante libanaise. Comment a-t-il eu vent de ces compositions qui étaient oubliées et quelle est la genèse de cette belle aventure ?
L’épopée Wadia Sabra a commencé en 2013 au Centre du patrimoine musical libanais (CPML) sis au Collège Notre-Dame de Jamhour, lors d’un concert consacré à la musique chorale libanaise par l’ensemble « A Chœur joie ». Bien sûr, je connaissais l’existence de ce grand musicien, père fondateur de la musique savante libanaise, du Conservatoire et compositeur de l’hymne national libanais. Je savais que son œuvre était immense, mais hélas elle avait été perdue, pour cause de destruction des archives du conservatoire pendant la guerre du Liban et de conflits qui avaient éclaté entre les héritiers du compositeur. Je regrettais infiniment que le CPML dont la mission est de rassembler, conserver et valoriser les archives des compositeurs libanais, ne possédât rien de Wadia Sabra. A la fin de ce concert de 2012, un Monsieur m’aborde et me dit : « comment se fait-il que l’on n’ait pas entendu d’œuvre de Wadia Sabra » ? Je lui réponds « C’eut été avec plaisir mais le CPML ne possède hélas pas une ligne de ce grand compositeur ». Ce Monsieur était le neveu d’Adèle Misk, épouse de Wadia Sabra.
Trois ans après cet épisode, en 2016, la famille Misk décide de confier au CPML lesdites archives que l’on croyait perdues et qu’elle avait conservées par-delà la guerre du Liban, les destructions, les déménagements et autres vicissitudes. Ces archives m’ont permis d’écrire la biographie de Sabra, sortie en 2018 aux éditions Geuthner dans la collection Figures musicales du Liban. L’ouvrage était accompagné d’une clé usb avec quelques pièces musicales inédites interprétées par le pianiste Georges Daccache et la soprano Marie-Josée Matar.
Il manquait toutefois à tout cela un travail vraiment approfondi sur la musique de Sabra, une compilation et un classement de ses œuvres musicales afin de pouvoir les diffuser au plus grand nombre. Et c’est là qu’intervient Fady Jeanbart, qui, en découvrant ce patrimoine musical inexploré et quasi inconnu, en tombe littéralement amoureux et décide de se consacrer à la tâche ingrate et fastidieuse de relecture et réécriture d’une œuvre qui était parfois griffonnée au crayon à papier et quasi illisible. Ayant bénéficié de l’aide précieuse du musicologue et informaticien musical Tony Gemayel, et si l’on peut dire « grâce » au confinement, Fady et son complice, trouvent le temps nécessaire d’accomplir ce travail d’éditeur et de défricheur avec une passion tellement dévorante qu’elle en devient une « Sabraïte aigue » !
Aujourd’hui, le résultat est là. Grâce à l’opiniâtreté de Fady Jeanbart et au soutien des Fondations RAM et Diane et de la banque Bemo, deux beaux volumes, l’un consacré à l’œuvre pour piano de Wadia Sabra, l’autre à des extraits d’opéra, sont mis à la disposition des musiciens afin que ce patrimoine musical ne se perde pas et que la mémoire du grand homme reste vivante à travers sa musique, lui qui a tant donné à son pays et qui, depuis son décès, en 1952, est tombé dans un injuste oubli.
Mais l’œuvre de Wadia Sabra ne se résume pas à ces deux ouvrages. Et le CPML regorge d’œuvres encore inexplorées. Fady Jeanbart en restera-t-il là ? Il est fort à parier que non ! L’affaire est donc à suivre….