Dans l'Agenda culturel compte rendu par Etienne Kupelian du Concert des JML sous la baguette de Paul Safa

2013-04-19

‘’Les Jeunesses Musicales du Liban sont un club amical où les gens aimant la musique se plaisent à se retrouver entre eux’’ - Antoine Médawar -

Cette phrase est tirée d’un article du 15 novembre 1979 paru dans le quotidien ‘Le Réveil’ dans laquelle j’interviewais le Président des JML, Antoine Médawar, à l’occasion du vingt cinquième anniversaire de ce mouvement mondialement connu. Ce soir-là, le ‘Beyrouth Sinfonietta’ donnait un grand concert et, en ce temps de guerre, ce concert prenait la dimension d’un grand évènement. Le Président des JML présentait le Beyrouth Sinfonietta de la manière suivante : ‘’... un orchestre formé d’amateurs et d’élèves avancés, épaulés par des professionnels, et qui aiment faire de la musique vivante... Notre travail, explique Antoine Medawar, est symbolique, parce qu’il montre qu’une certaine activité musicale est bénéfique’’.

Trente-quatre ans après, l’évènement se renouvelle : Samedi 13 avril, à l’Église St.Joseph des pères Jésuites, un concert donné par le Beyrouth Sinfonietta remettait en marche le moteur arrêté des JML après tant d’années de silence. Remercions ici le travail de Paul Safa et d’Antoine Daoud qui sont parvenus, grâce à leur ténacité, à faire renaître de ses cendres une association qu’on avait reléguée au musée de l’oubli.

Ce samedi soir, les valeurs prônées autrefois par Antoine Medawar ont ressurgi comme par miracle et ont été immédiatement ressenties par le public. Tout au long du concert, la magie s’est opérée : dans un programme essentiellement porté sur le baroque avec une incursion dans le folklore arménien et une autre dans le tango argentin, le message a passé la rampe et le public a été immédiatement conquis par la beauté de la musique qu’on lui offrait.

Cette musique était belle, non seulement parce qu’elle était composée par Telemann, Bach, Vivaldi, Komitas ou Piazzolla, mais parce qu’elle était jouée par de jeunes instrumentistes talentueux, et dont l’enthousiasme communicatif a poussé les professionnels qui les épaulaient, à unir leurs efforts dans un esprit de convivialité.

C’est l’élève de flûte Hassan Slaïbi qui, auprès de son professeur Alice Farhat, ouvre le concert avec la Suite en mi mineur de la ‘Tafelmusik’ de Telemann : une sonorité chaude, et un jeu assez solide pour dialoguer avec son professeur sur un même pied d’égalité.

Saluons aussi le violoniste, Jack Estéphan qui, avec un certain bonheur, a relevé le défi de jouer le concerto pour violon et orchestre en sol majeur RV310 de Vivaldi. Nous savons tous que jouer du Vivaldi n’est pas chose aisée et Jack Estéphan a réussi à surmonter les difficultés techniques qui se présentaient à lui, et n’a pas manqué de nous rappeler par ses ornements habiles et la ligne mélodique inventive qu’il déployait, que Vivaldi avait composé ces concertos pour ses propres élèves de l’Orphelinat ‘Pio Ospedale della Pietà’.

Mais la grande surprise de cette soirée, c’était d’entendre pour la première fois au Liban (il me semble) une œuvre pour flûte à bec avec accompagnement d’orchestre : la partie soliste était tenue par Farid Rahmé, fraîchement diplômé du Conservatoire, qui a interprété une pièce incontournable du répertoire de la flûte à bec, la Suite en La mineur de Telemann. Avec trois mouvements tirés de cette suite, ‘Ouverture, Les Plaisirs et Réjouissance’, Farid Rahmé nous a déployé des sonorités qui ont flatté notre oreille : un aigu rond, un médium assez riche et des graves assez larges pour le plus baroque des instruments à vent.

Le concert s’est terminé en apothéose avec la suite en si mineur de Bach qu’Alice Farhat a brillamment interprétée : la badinerie est arrivée juste à point pour soulever le tonnerre d’applaudissements de la part d’un public conquis par la qualité de la prestation.

Un programme qui était essentiellement axé sur le baroque, et dans lequel on a glissé un petit tango de Piazzolla, ‘Oblivion’ qui, aux dires de certains, a énormément ému le public, et trois petits morceaux du prêtre compositeur arménien, Komitas (1869-1935). Je voudrais rappeler ici, que Komitas, s’est consacré durant sa jeunesse à l’ethnomusicologie : il avait eu la riche idée de parcourir les endroits les plus reculés du pays pour recueillir un nombre considérable de chansons populaires qu’il a patiemment notées et transcrites (un peu à la manière de Bartok) et qui sont aujourd’hui une référence absolue en la matière. Ce patrimoine légué par Komitas a valeur de symbole : une musique du terroir, riche et colorée, un trésor inestimable qui a permis à toute une nation de survivre au drame qu’elle a subi.
Parmi ces morceaux, une vingtaine ont été orchestrés sous forme de miniatures. Paul Safa en a choisi trois : ‘Chant de Fête’, ‘Printemps’ et ‘Foulard Rouge’ Saluons ici l’excellente cohésion de l’ensemble des musiciens qui, sous l’impulsion du chef d’orchestre, a donné à ces «mignardises» toute leur saveur : une musique qui vous caresse le cœur par la douceur de ses mélodies toutes imprégnées de nostalgie, et qui vous emporte dans le tourbillon de la danse par sa verve dynamique au rythme envoûtant.

Que les élèves de violon (Clarisse el Khoury, Yamane el Hage, Céline Fadel, Nayla Obeid, Haïfa Rouhana, Céline Smith, Ghazarian Karounig, Cynthia Jamous, Najat Rayess) soient remerciés d’avoir donné cet élan juvénile pour cette première manifestation des JML, aux côtés d’amateurs éclairés (Antoine Daoud, Gilbert Baaklini, Antoury Roger et Didi Sabbagh) et soutenus par des professeurs au Conservatoire (Anne-Claire el Khoury, Alice Farhat, Jacqueline Tabet, Rania Kallab, Angela Hounanian et Zaher Sebaali). On retiendra ici les mots d’Antoine Medawar : ‘’Jouer au sein d’un ensemble n’est ni une compétition, ni une concurrence, mais un acte spontané de ceux qui aiment pratiquer la musique’’.

Tous nos encouragements et nos félicitations à Paul Safa qui, avec l’aide d’Antoine Daoud, Akram Najjar, Paul Ariss et Saleh Barakat, ont su remettre sur les rails (malgré pas mal d’embûches) la locomotive des Jeunesses Musicales du Liban. A la jeunesse, justement, de ne pas manquer de prendre le train, en espérant rajouter des wagons au fur et à mesure que le nombre de mélomanes et de musiciens augmentera.

Etienne Kupélian

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