Dans l'Agenda culturel interview de Waleede Howrani. Propos recueillis et traduits de l'anglais par Zeina Saleh Kayali

2013-04-22

Connu par le public libanais comme pianiste virtuose, Waleed Howrani qui vit aux Etats-Unis, est passé du côté de la composition. Son dernier opus Sweet Geriatric une délicieuse suite de pièces courtes pour piano, aux titres aussi décapants que Menopause minuet , Viagra in blue ou Prostato pizzicato, et qu’il interprète lui-même, est désormais disponible au Liban
1- Vous avez commencé votre carrière comme pianiste et vous êtes maintenant compositeur. Comment s’est opéré le déclic de l’interprétation vers la composition ?
Il est vrai que j’ai commencé comme pianiste mais composer a toujours été mon rêve. Dès ma petite enfance, que ce soit au piano ou en écoutant des disques, mon premier réflexe était de créer des petites mélodies au clavier. J’ai d’ailleurs composé beaucoup de petites pièces enfantines entre l’âge de 5 ans et celui de 9 ans. Vers l’âge de 10 ans, j’ai réalisé que ces compositions étaient banales et j’ai donc arrêté. A l’époque, j’avais supplié mon professeur d’harmonie de m’enseigner la composition, mais il a jugé que j’étais trop jeune. Ce fut pour moi une immense déception et de sa part une grosse erreur.

Puis les années ont passé et, à l’âge de 15 ans, j’ai rencontré à Beyrouth le grand compositeur arménien Aram Khatchadurian. Grâce à lui, j’ai obtenu une bourse pour poursuivre mes études musicales à Moscou. Bien que Khatchatourian, m’ait beaucoup encouragé à composer, mon professeur de piano à Moscou tenait à me présenter au fameux concours international Tchaïkovski. J’ai donc dû encore fois reléguer le rêve de la composition, et me concentrer sur la préparation de ce concours que j’ai gagné. Ma carrière de pianiste s’est alors enclenchée.

Un jour, à l’âge de 29 ans, je suis pris d’hallucinations, de nausées et de phénomènes d’hyperventilation. Les examens médicaux révèlent une dangereuse malformation au cerveau, qui à tout instant peut provoquer une hémorragie mortelle. C’est en réalisant que je vivais sur un volcan et que je pouvais mourir d’une seconde à l’autre, que j’ai décidé de réaliser mon rêve d’enfance jusqu’ici toujours contrarié: écrire de la musique. Mais il me fallait un maître et c’est le merveilleux compositeur William Albright qui a tenu ce rôle.
En 1987, après 9 ans de crises psychomotrices épuisantes, une hémorragie cérébrale me laisse paralysé du côté gauche. Et là, j’ai eu la chance d’être opéré par l’un des plus grands neurochirurgiens du monde, Charles Drake, à Ontario au Canada. L’intervention a duré 9h30 et m’a débarrassé de la malformation. Depuis, j’ai une nouvelle vie et je continue simultanément à composer et à jouer.
2- Votre dernier cd est intitulé Sweet Geriatrics. Pourquoi ce titre est quelle est la genèse du disque?
Il s’agit de pièces humoristiques pour piano, qui m’ont été inspirées lors d’une conférence donnée par un professeur de piano, Ramona Kime, dont les élèves sont tous seniors. L’éclair m’est venu quand à la fin de la présentation, elle énumère des titres de morceaux possibles, tels March of the Hip Replacements, Bifocal Boogie-Woogie, Great-grandsonata… Je me suis donc dit qu’il serait amusant d’écrire des pièces courtes pour piano décrivant nos petites misères physiques en essayant d’en rire.
Ces morceaux sont d’une difficulté variable, du plus simple au plus compliqué, mais elles demandent quand même à l’interprète une grande technique d’interprétation, du contraste et un jeu de pédales parfois complexe.
Sur ce disque figure aussi une pièce, Choral et invention sur un thème de Ziad Rahbani, thème qui m’a été proposé par cet éminent compositeur afin que je le développe en hommage à Jean-Sébastien Bach, un peu « à la manière de… ».
Enfin, sur ce même disque j’ai enregistré une pièce rare, la Sonate pour piano en mi mineur d’Edvard Grieg, pièce écrite par le grand compositeur norvégien alors qu’il n’avait que 22 ans. C’est l’unique sonate pour piano de Grieg et elle est si riche musicalement, que l’on peut aisément en parler comme d’une Symphonie pour piano.

3- Comment est ce que votre triple culture (libanaise, américaine et russe) transparaît-elle dans votre musique ?
Elle apparaît sous plusieurs formes. Parfois j’utilise les modes orientaux (tel que le Hijaz ou le Saba) dans mes compositions. Parfois je me sers des modes russes comme dans Balding Balalaika. Dans mon Concerto pour saxophone alto, cordes et percussions, j’ai utilisé l’air populaire américain Turkey in the Straw, mais en l’adaptant dans un style oriental. Ma musique est en général multi-stylistique, c'est-à-dire que dans une même pièce, je peux utiliser des styles très variés. Elle reflète la façon naturelle dont l’esprit peut osciller d’une humeur à l’autre.

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